Le constat est terrifiant. Combien de femmes indiquant être victimes de violences psychologiques ne sont pas entendues ni crues ? Combien n’ont pas réussi à porter plainte au commissariat ? Combien d’entre elles ont pourtant décrit l’emprise et l’isolement dans lesquels les ont plongées les menaces, les sarcasmes, les humiliations ? Parmi elles, combien de femmes étrangères ont essayé de dénoncer ces violences ? Combien de drames faudra-t-il encore pour qu’enfin les violences psychologiques soient considérées comme des violences conjugales et condamnées ?
Depuis 2010, la loi reconnaît le délit de violences psychologiques dans le couple, une des violences les plus répandues et les moins détectées. Elles ne laissent pas ou peu de traces visibles. C’est alors la course aux preuves pour qu’on puisse croire les personnes qui expliquent ce qu’elles subissent. Derrière le courage de ces femmes et leur détermination à s’en sortir, il faut raconter, encore et encore, son récit aux policiers suspicieux et aux juges qui parlent de conflit conjugal et non de violences, aux associations, aux avocats. La réponse, toujours la même : « Apportez-nous des preuves ». Si la victime n’est pas hospitalisée, n’a pas de dossier médical, pas d’ecchymoses ou de bleus, il est encore plus difficile pour elle d’être crue. Sa parole est discréditée.
C’est le cas d’Akiko : son conjoint l’empêche de téléphoner à sa famille, de parler aux voisins puis il lui interdit d’aller travailler. Les mois passent et il contrôle toute sa vie. Elle est terrorisée à chaque fois qu’il rentre du travail, subissant toujours plus d’affronts. Un jour, il décide de l’enfermer à clef. La séquestration est le déclic : peut-elle dire que cette vie de couple n’est pas une vie ? Qu’elle ne veut plus de ce conjoint français alors qu’elle a obtenu le droit de rester en France grâce à lui ? Peut-elle demander de l’aide alors qu’il ne l’a jamais battue ?
Mariam, elle, a été menacée et insultée pendant deux ans. Son mari lui disait que « c’était la culture française ». Elle l’a cru, elle ne savait pas. Elle s’est ensuite vu interdire l’accès au domicile conjugal par son conjoint et ainsi empêchée de voir leur fille. Elle a porté plainte et a cherché de l’aide auprès d’associations débordées. C’est son hospitalisation en psychiatrie qui lui a permis de sortir de la spirale infernale.
La réticence des institutions est grande à estimer, y compris en présence de preuves, que les violences dites « psychologiques » puissent être véritablement des violences. C’est faire l’impasse sur la réalité de l’enfer que vivent ces femmes, sur la gravité des menaces qui pèsent sur elles et sur les nombreuses stratégies des conjoints violents qui agissent en toute impunité.
La situation des femmes étrangères confrontées à des violences est aggravée par la précarité de leur statut administratif en France. Pour celles qui ont obtenu un titre de séjour après leur mariage, il faut, pour le renouveler, prouver que la rupture de la vie commune était due aux violences conjugales. Si leurs propos ne sont pas considérés comme vraisemblables par les autorités, elles ne seront pas protégées et se verront notifier une obligation de quitter le territoire français. S’ensuit alors une spirale infernale : perte de droit au séjour, de leur emploi, du logement, difficile accès aux soins et à un avocat pour divorcer, la rue.
Ces femmes victimes de violences sont d’abord considérées comme étrangères. Dans un pays qui prendrait en compte les violences sous toutes leurs formes, les victimes devraient être immédiatement protégées quand elles appellent à l’aide. Mais c’est loin d’être le cas. Malgré les insultes, les propos humiliants, le harcèlement, la mise à l’écart de toute vie sociale, les obstacles à la régularisation administrative, la séquestration au domicile conjugal, le chantage aux papiers, ces violences psychologiques ne sont généralement pas prises en compte.
Il est urgent que la France mette en place une véritable politique de lutte contre les violences digne et respectueuse de toutes les femmes, sans condition d’origine, de nationalité, de statut administratif.