En mai 2021, le journal La Croix publiait un article intitulé : « Les réseaux sociaux, aux sources de la délinquance juvénile », constatant que, depuis quelques mois, « plusieurs adolescents ont perdu la vie dans des batailles rangées entre bandes rivales », avec à chaque fois, en toile de fond, les fameux réseaux. Le journaliste s’est alors demandé si ces derniers étaient « la cause ou de simples diffuseurs de cette flambée de violences juvéniles ».
Si l’on effectue une plongée rétrospective dans la presse, on s’aperçoit que ce questionnement s’est posé pratiquement dans les mêmes termes successivement pour le cinéma, la télévision puis les jeux vidéo, surfant, selon les époques, sur les modes et engouements des adolescents. Dans les années 1940 et 1950, de nombreux experts collaborant avec la justice des mineurs ont réalisé des études sur les loisirs des jeunes, et constaté que la plupart de ceux qui étaient déférés devant les tribunaux fréquentaient de manière assidue les salles obscures. L’influence du cinéma sur la délinquance juvénile a dès lors été questionnée.
En 1947-1949, la direction de l’Education surveillée du ministère de la Justice s’est ainsi lancée dans une enquête auprès de ses services. Elle entendait mesurer l’importance de la fréquentation des salles de cinéma par les mineurs et analyser les biais par lesquels le cinéma pouvait favoriser ou provoquer la délinquance chez les mineurs. Il s’agissait de traquer les habitudes prises et le degré d’intoxication psychologique, en cernant les réactions aux scènes de films et aux acteurs. Des questionnaires étaient adressés aux éducateurs et éducatrices de chaque établissement, leur demandant, sous forme d’entretiens individuels, d’interroger indirectement les mineurs « par conversation conduite discrètement ». Toute une série d’épreuves fut imaginée pour faire dessiner et raconter le jeune. Parallèlement, des enquêtes de groupes ont été préconisées en organisant des séances de ciné-clubs en institution.
Cependant, la multiplicité des données n’a pas permis d’aboutir à des résultats très concluants, les informations collectées étant trop aléatoires et difficilement synthétisables. Pourtant, le 9 octobre 1959, le quotidien Paris-Jour fit ses gros titres sur « Un grand coupable : le cinéma », affirmant que l’écran ne crée peut-être pas la délinquance, mais lui donne un « style ».
À la même époque, ont été créés à Paris l’Institut de filmologie et la Revue internationale de filmologie, ce néologisme désignant une science nouvelle destinée à étudier les effets des films sur le corps et le psychisme ainsi que l’influence du média sur la société. Très concernés par ces recherches, des psychologues de l’enfance ont mené des expériences dans ce cadre pour tenter de trancher la question de la responsabilité du cinéma dans certains cas de déviance. Ils ont multiplié les tests sur leurs cobayes, posant des électro-encéphalogrammes, mesurant les réactions cardiaques, effectuant des prises de sang, des analyses d’urine et de sueur…
Mais il leur a fallu se rendre à l’évidence : le public n’est pas homogène. Loin d’être passifs, les spectateurs réagissent différemment face aux images en fonction de leur vécu, de leur sensibilité, de leur éducation, de leur formation intellectuelle, etc. À partir de 1962, la revue, reprise par des chercheurs italiens, fut rebaptisée Ikon, les débats sur l’influence du cinéma étant dorénavant reportés sur un nouveau média fraîchement arrivé : la télévision.
Cette relation duelle entre cinéma et délinquance juvénile est analysée au centre d’exposition historique « Enfants en justice, XIXe-XXe siècles » de Savigny-sur-Orge (Essonne), où se tient actuellement l’exposition « La justice des enfants fait son cinéma »(1), prolongée jusqu’en mars 2024. Celle-ci interroge aussi le jeu de miroir existant entre réalité et fiction.
(1) bit.ly/3G0n4Jj.