« L’ouverture d’une nouvelle halte-familles est un signal positif, affirme Juna Lamy, intervenante sociale pour l’association Les Eaux vives Emmaüs, en Loire-Atlantique. Bien que cela ne permette pas d’absorber toutes les situations dramatiques auxquelles nous sommes confrontés, elle a le mérite d’exister. » La structure ? Un centre d’accueil dédié aux familles à la rue et financé par la commune de Nantes. Là, 18 places en hébergement collectif (contre 40 prévus initialement) sont ainsi réservées à ce public exclu des services de « droit commun ». L’ouverture en novembre dernier tient à la détermination d’une dizaine de professionnels et de bénévoles membres d’un intercollectif qui, ne considérant pas la résignation comme une option, ont co-construit le projet. « Depuis plusieurs années, de nombreux citoyens démunis face à l’accroissement des familles privées de logement ont souhaité trouver des solutions. C’est chose faite, avec la garantie qu’une fois hébergée, aucune personne ne sera remise à la rue », détaille Juna Lamy.
La particularité de la nouvelle halte-familles : elle n’impose pas aux ménages de passer par la ligne téléphonique du 115, étape habituellement obligatoire pour obtenir un hébergement. Le contact avec les associations de l’intercollectif suffit à orienter le public. « Nous discutons beaucoup autour de cette question du tri des personnes vulnérables car nous sommes conscients que les marqueurs de fragilité retenus par le 115 se durcissent, souligne Juna Lamy. Récemment, par exemple, un ménage avec un bébé d’un mois et demi n’a pas été mis à l’abri. » L’intervenante sociale reconnaît cependant que se passer des services du SIAO s’avère quasiment impossible, car « ceux-ci tentent d’avoir la mainmise sur l’ensemble des structures ». La majorité des associations du secteur étant tributaires des subventions des pouvoirs publics, il leur est difficile d’agir de façon autonome, d’autant que l’obtention de financements privés s’avère complexe.
En Haute-Garonne, une mobilisation a permis le maintien à l’hôtel de 33 femmes victimes de violences conjugales. En juin dernier, la préfecture les avait sommées de quitter sous huit jours l’hôtel social où elles étaient hébergées. Une mise à la rue brutale qui a interpellé 200 professionnels d’associations spécialisées lors d’une manifestation organisée conjointement par la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) et la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF). « Nous sommes montées au créneau auprès de la préfecture et de la Direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (Ddets). Nous avons aussi alerté les médias locaux, explique, sous couvert d’anonymat, une travailleuse sociale de l’Apiaf (association toulousaine de lutte pour les droits des femmes). Grâce à un tweet en notre faveur d’Isabelle Rome, ancienne ministre déléguée, les médias nationaux se sont saisis du problème et l’ensemble des femmes concernées a pu être pris en charge… Jusqu’à nouvel ordre, car nous restons attentifs. »
En 2023, dans le département de la Loire, 95 % des appels au 115 restent sans réponse. C’est pourquoi Jean-François Peyrard, porte-parole du collectif « Pour que personne ne dorme à la rue », veille à la protection accordée au public sans abri. Grâce à cette organisation fondée en 2009 et qui regroupe une trentaine d’associations citoyennes sur le territoire, 700 personnes seules ou en familles sans solution bénéficient actuellement d’un hébergement et d’un accompagnement pour l’accès aux droits et à l’éducation. Afin de financer la location de logements, le réseau collecte des dons. Les mineurs isolés bénéficient, quant à eux, de l’accueil d’hébergeurs coordonné par l’association La Maison solidaire. « Notre budget est estimé à un million d’euros annuel, précise Jean-François Peyrard. Il y a une dizaine d’années, les démarches administratives, notamment sur le volet de la régularisation des titres de séjour, étaient moins longues. Aujourd’hui, c’est un parcours du combattant qui nous force à nous organiser davantage sur la durée. Nous sommes dans l’impossibilité de loger de nouvelles personnes. Nous avons atteint nos limites. »
Si, depuis le début 2023, le collectif a mis en place un partenariat avec la FAS pour financer des nuits d’hôtel ou des hébergements provisoires, les actions ont dû cesser après l’été, en raison de la sollicitation permanente de travailleurs sociaux et du centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Etienne. « Nous devenions un 115 bis, ce que nous refusons. On ne va quand même pas nous demander à nous, bénévoles associatifs, de poser des critères de priorité », conclut, désabusé, le porte-parole.
Les résultats de l’enquête annuelle de la Fédération nationale des Samu sociaux (FNSS), publiés le 8 novembre dernier, font état « d’un nombre de personnes sans abri jamais égalé dans le pays ». En 2022, les équipes de maraudes ont rencontré 55 939 personnes différentes âgées de 25 à 69 ans, dont 16 532 à Paris. Un public majoritairement isolé (80 %), composé de 77 % d’hommes et de 23 % de femmes, 7 % étant mineurs.
Trois préconisations sont retenues :
→ la garantie de l’effectivité du droit au logement sinon à l’hébergement ;
→ le renforcement des maraudes ;
→ l’accès aux soins psychiques des personnes à la rue.