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Les réponses des pros

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L’évitement des conflits

Dans nos établissements publics, ce n’est pas tant l’expression de la foi des usagers, résidents et familles, qui soulève un problème car on peut s’en accommoder facilement, et faire en sorte que celle-ci ne dérange pas les autres… Ce qui interroge, c’est l’ostentation religieuse de certains de nos agents. Dans ce cas, cela devient difficile : on connaît tous les principes de laïcité, de neutralité religieuse du service public, mais là il s’agit de nos salariés. On les côtoie pour certains depuis longtemps et on les apprécie. On n’a pas envie d’entrer en conflit avec eux. On parle d’un difficile équilibre du climat social qu’on essaye de maintenir, de la perspective peu sympathique de finir au tribunal administratif. Et surtout de nos petites lâchetés de directeurs et de citoyens qui peuvent parfois nous faire détourner le regard.

Didier Lucas, ancien directeur de l’Ehpad public La Rouvière, dans l’Hérault.

La main du musulman

Voici une situation connue dans les Ehpad des villes cosmopolites, mais pas partout dans le pays. Dans le sud-ouest de la France, les résidents de confession musulmane demeurent rares, même si leur nombre augmente sensiblement depuis quelques années. J’ai rencontré l’un d’entre eux, dont l’accueil à l’Ehpad dans lequel j’exerçais s’est passé dans des conditions idéales. Pourtant, rapidement, cet homme très dépendant a refusé de s’alimenter tout en manifestant des troubles du comportement durant sa toilette (opposition, agressivité). Il s’avère, après quelques jours de recherche, que ce vieil homme ne faisait rien d’autre que d’obéir aux préceptes de sa religion. Ainsi avons-nous compris, en étudiant d’un peu plus près les enseignements du Coran, que la main droite est exclusivement réservée aux gestes honorables (manger, écrire, serrer la main), là où la gauche sert aux gestes ingrats (se moucher, s’essuyer après avoir fait ses besoins). On comprend que la soignante gauchère rencontre quelques difficultés à aider ledit résident à s’alimenter, quand sa collègue droitière, elle, procède à une toilette intime. En effet, ce résident ne pouvait pas accepter, par conviction religieuse, qu’on le nourrisse de la main « ingrate », ni qu’on lui lave les parties intimes de la main « honorable ». Incapable de communiquer par la parole, cet homme a dû attendre quelques jours que nous saisissions la situation, grâce à des professionnels de confession musulmane. La morale, s’il en est, est d’être au fait d’un minimum de connaissances de la religion pratiquée par un résident lorsqu’on l’accueille dans la structure, afin de s’adapter à son mode de vie. Cela passe par un ajustement, certes contraignant, mais le temps passé en recherches et investigations est moindre que celui perdu à s’acharner, par la suite, à comprendre certains troubles du comportement. En ce sens, la culture religieuse devrait faire partie des connaissances générales des soignants.

Richard Mesplède, ancien animateur en Ehpad et formateur.

Entre religion et religiosité

Interroger la religiosité des personnes accompagnées, plutôt que le dogme normatif qui s’y réfère, revient à désacraliser le religieux, à le rapporter au champ profane de l’intervention socio-éducative. Cette piste d’action s’oppose aux perspectives culturalistes bien souvent illusoires qui consistent à penser qu’en s’initiant aux textes sacrés ou aux traditions, les travailleurs sociaux pourraient mieux saisir le sens des comportements « religieux ». Plutôt que de chercher à interpréter un dogme ou un verset, le travailleur social dispose d’outils et de réflexes professionnels éprouvés. Identifier le contexte familial d’un adolescent « converti », alors que ses parents avec lequel il est en conflit, sont athées ; questionner la trajectoire d’un jeune adulte en situation de handicap qui, du jour au lendemain, souhaite se voir accompagner à l’église, interroger une adolescente agressive justifiant son comportement en déclarant « que son éducateur ne respecte pas sa religion »… ouvre d’autres perspectives. En abordant le religieux ainsi, les intervenants sociaux évitent l’écueil d’une assignation hâtive à un corpus prédigéré de prescriptions mécaniques, pour s’intéresser à la façon dont les personnes accompagnées bricolent leurs convictions religieuses en fonction de leur parcours biographique et du contexte familial et social dans lequel elles évoluent. De cette manière, la compréhension des « problèmes » leur est plus accessible, les projets d’action plus aisés à construire.

Faïza Guélamine, chargée de mission « référente laïcité citoyenneté » à la direction territoriale de la PJJ de Seine-Saint-Denis.

Pratique sous réserve

J’ai constaté que les professionnels pouvaient se retrouver au cœur de confrontations entre les faits religieux et les principes de laïcité dans la gestion du quotidien. Ces phénomènes ont un impact sur leurs pratiques professionnelles et les obligent à devoir respecter les convictions religieuses des résidents dans le cadre des principes de la laïcité. Un jour, un usager a demandé à un professionnel une bible. Un autre a interpelé l’équipe pour l’aider à pratiquer sa religion en l’accompagnant à l’église. Ces situations ont été partagées lors des réunions d’équipe et elles ont fait l’objet de réflexions collectives. Ensuite, la direction a mis en œuvre des actions pour permettre à chaque résident de pouvoir exercer sa pratique religieuse sous réserve que celle-ci ne troublait pas le fonctionnement de la structure. Il est capital de faire figurer ce droit dans la charte des droits et liberté des établissements afin d’harmoniser et d’apporter des réponses institutionnelles cohérentes.

Sadek Deghima, responsable d’un service de prévention spécialisée dans les Hauts-de-France.

Toutes ces contributions sont extraites du hors-série n° 4 des ASH d’avril 2021, « Etablissements. Laïcité et faits religieux (Quelles définitions ? Quelles interprétations ? Quels outils ? ». Pour commander un exemplaire, rendez-vous sur l’onglet « Boutique » du site ash.tm.fr.

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