« L’apprentissage est le meilleur moyen de découvrir un métier. Je suis arrivé dans ce secteur sans aucune connaissance et, grâce à ce dispositif, je mets en pratique immédiatement ce que j’ai appris en cours. Inversement, je peux aussi théoriser ce que j’ai observé sur le terrain. Tout cela en étant rémunéré 80 % du Smic. C’est vraiment l’idéal. » Comme Gauthier Hémon, 25 ans, apprenti moniteur-éducateur en deuxième année au sein du CFA (centre de formation pour apprentis) du social de l’IRTS Parmentier, des milliers de jeunes choisissent chaque année l’apprentissage pour se former aux métiers du social et du médico-social. Encore peu répandu dans le secteur il y a quelques années, ce dispositif attire de plus en plus comme le prouvent les données de l’Opco Santé (opérateur de compétences du secteur sanitaire, social et médico-social à but non lucratif, hospitalisation privée à but lucratif, santé au travail et thermalisme). Cet organisme recense 13 126 contrats en 2022 contre 2 500 en 2018, avec une progression de 91 % entre 2020 et 2022.
Selon les professionnels, le « boom » de l’apprentissage est la conséquence directe de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui simplifie le lancement des CFA, revalorise les salaires des apprentis et ouvre le dispositif à des jeunes âgés de 16 à 29 ans révolus (contre 26 ans auparavant). « Une aide financière aux employeurs est également prévue. Elle a agi comme un accélérateur et a permis de dynamiser le recrutement d’apprentis », estime Corinne Deal, directrice générale de l’Adaforss (Association pour le développement de l’apprentissage et la formation aux métiers sanitaires, sociaux et médico-sociaux). Pour les contrats conclus depuis le 1er janvier 2023 et jusqu’en 2027, l’aide s’élève à 6 000 € la première année. Un coup de pouce bienvenu, surtout pour les petites structures, mais qui ne garantit pas la réussite de l’apprentissage. Pour préparer au mieux les étudiants à entrer dans la vie professionnelle, il convient en effet de respecter trois grands principes.
« Les métiers du soin, de l’accompagnement, de la relation nécessitent d’être expérimentés sur le terrain. On peut parler, échanger les pratiques, aborder des aspects théoriques, lire des articles universitaires… rien ne remplace la pratique professionnelle », estime Florence Breitwieser, membre actif de la Fnapss (Fédération nationale pour l’apprentissage aux professions sanitaires et sociales) et directrice du CFA sanitaire et social Occitanie. Dans les faits, l’apprenti est un salarié et non un stagiaire. Il est rémunéré en tant que tel (27 % du Smic en première année quand il a moins de 18 ans à 100 % du Smic quand il a 26 ans et plus). « Il est intégré dans une équipe pour apprendre un métier, sous la houlette d’un maître d’apprentissage qui va l’accompagner, l’observer, lui montrer les bons gestes, la bonne manière de faire… En deux ou trois ans, il acquiert les codes professionnels, ceux de l’entreprise et du salariat », explique Frantz Printemps, responsable du CFA du social de l’IRTS Parmentier.
Toutefois, un travailleur social ne peut se former uniquement sur le terrain. « Il est nécessaire qu’il puisse réfléchir sur sa pratique professionnelle. Une telle démarche naît en se confrontant à ses collègues, aux autres étudiants, aux professeurs, etc. Il est essentiel d’avoir des salariés qui font ce qu’ils pensent et qui pensent ce qu’ils font. Sinon ce ne sont pas des travailleurs sociaux », assure Alexandre Lebarbey, représentant CGT au Haut Conseil du travail social (HCTS) et éducateur spécialisé depuis plus de trente ans.
Si l’alternance entre le terrain et le centre de formation est nécessaire, elle doit être bien pensée. Actuellement, il n’y a pas d’uniformisation sur les territoires, ni entre les CFA. Par exemple, à l’IRTS Parmentier, les apprentis ont une semaine de cours, une semaine chez leur employeur. Au CFA sanitaire et social Occitanie, c’est fluctuant : à Montpellier, les jeunes ont une semaine par mois de cours et trois semaines sur le terrain ; à Nîmes, ils sont trois semaines en cours et un mois sur le terrain. Parfois même les apprentis peuvent passer plus de cinq à six semaines loin de leurs structures. De quoi freiner les employeurs. « Trop souvent les écoles établissent leur calendrier par le seul prisme pédagogique, déplore Corinne Deal. Si des efforts ont été faits ces dernières années, les besoins et les attentes des employeurs sont encore trop négligés. On pourrait imaginer des calendriers avec deux jours de formation et trois jours chez l’employeur. »
Alexandre Lebarbey, qui a co-piloté le groupe « formations-parcours-métiers » lors des échanges en vue du Livre blanc du HCTS, déplore le manque d’adaptation des référentiels pédagogiques : « Dans d’autres secteurs, comme l’artisanat ou l’hôtellerie, l’apprentissage est intégré naturellement dans les référentiels de formation. Ce n’est pas le cas dans le social et le médico-social. Nous devons partir du métier pour aller vers la formation et non l’inverse. » Des préconisations en ce sens devraient être faites dans Le Livre blanc(1).
« Ma tutrice a beaucoup d’expérience, ce qui est très appréciable. Elle est toujours disponible. Elle prend le temps de me guider, de m’expliquer. Car la réussite de l’apprentissage passe aussi par la qualité de l’accompagnement et du suivi du maître d’apprentissage. » Ce témoignage d’Emilie, apprentie éducatrice spécialisée en troisième année, résume parfaitement la situation : sans un guide pour les aiguiller, les apprentis ne deviendront pas des professionnels aguerris. Pour y parvenir, le maître d’apprentissage doit donc être correctement formé. « Ce n’est pas un simple référent de stage. Cela requiert une tout autre implication, une plus grande attention. Il doit donc être accompagné dans la démarche. Ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas », déplore Jacqueline Grebert, responsable de la commission formation au sein de l’Anas (Association nationale des assistants de service social).
Légalement, un contrat d’apprentissage ne peut être signé que lorsque la structure désigne un ou plusieurs maîtres d’apprentissage. Il convient donc de valoriser ce rôle, de reconnaître ces compétences pour donner envie à des professionnels d’accompagner les apprentis. « Je ne suis pas là pour les corriger. Ils ont le droit à l’erreur, renseigne Madeleine Ngo Tonye, aide-soignante en Ehpad et tutrice d’apprentissage chez Clariane (ex-Korian). Mon rôle est d’améliorer leur prise en charge, de leur permettre de monter en compétences. C’est dans la pratique qu’ils vont s’ajuster, progresser. Chacun à sa manière d’apprendre, chacun va à son rythme. C’est à moi de m’adapter et non l’inverse. »
Pour Jacqueline Grebert, « c’est une très bonne idée de vouloir développer l’apprentissage dans le secteur, mais encore faut-il s’en donner les moyens. Sans référent professionnel de proximité pour former l’apprenti, cela revient à essayer de lui apprendre à nager tout en le noyant. »
Le risque est que l’employeur considère les apprentis comme de la main-d’œuvre à moindre coût. « C’est malheureusement souvent le cas. J’ai des amis qui ont dû changer d’apprentissage car on leur en demandait trop », témoigne Gauthier Hémon. Une pression d’autant plus tentante qu’elle pourrait pallier le manque d’attractivité du secteur. Jacqueline Grebert évoque, pour sa part, « une dérive de plus en plus fréquente ». Or les apprentis ne sont pas encore des professionnels à part entière, en première année, surtout, ils ne connaissent pas grand-chose du métier. Il convient donc de ne pas les confronter trop tôt à des responsabilités ou de leur imposer une charge de travail trop lourde. « Un apprenti a la double casquette de salarié et d’étudiant. Il faut trouver le bon équilibre et définir en amont ses missions. Par exemple, on ne peut pas lui demander d’assurer l’ouverture et la fermeture de sa structure, confie Corinne Deal. De même, il faut veiller à ce qu’il ne soit pas seul avec l’usager. Si ces précautions paraissent évidentes, sur le terrain elles ne sont pas toujours respectées. »
Il arrive toutefois que les apprentis soient demandeurs de responsabilités. « Mon objectif est de monter en compétences rapidement, admet Emilie. En réalité, j’estime que c’est un échange de bons procédés. Même s’il faut savoir se protéger. » Car, de manière générale, confie la jeune fille, « dès qu’il existe un sous-effectif, et ce quels que soient la structure et le secteur, l’apprentissage se complique ».
« Etre apprenti dans ce secteur, c’est avoir la volonté de devenir un travailleur social le plus vite possible. Certes, nous travaillons plus, parfois même pendant les vacances, mais ce ne sont pas des freins. C’est une question de bon vouloir. Je suis très satisfait d’avoir choisi cette voie. »
Gauthier Hémon, 25 ans, en deuxième année d’apprentissage en tant que moniteur-éducateur au sein de l’IRTS Parmentier
c’est le montant de l’aide à l’embauche au titre de la première année du contrat d’apprentissage.
« L’apprentissage est désormais perçu comme une voie d’excellence et un très bon moyen d’être rémunéré tout en étant formé. Ce dispositif attire de nouveaux profils et fidélise les salariés déjà en poste. En effet, ils ont envie et besoin de tranmettre leur métier aux jeunes générations. »
Anne-Myrtille Robion Dubois, directrice du CFA du social de l’IRTS Parmentier
(1) Adopté en septembre, il devait être présenté dans la foulée au gouvernement. Sa publication est attendue pour le 5 décembre.