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Soutien institutionnel, réponses plurielles, rapidité d’action… S’il n’existe pas de mode d’emploi pour faire face aux événements traumatiques, les structures peuvent s’appuyer sur certains préceptes pour accompagner au mieux les professionnels.

« Il n’y a rien de pire que lorsque la situation est vécue dans l’indifférence générale », observe Dafna Mouchenik, directrice et fondatrice de LogiVitae. A la tête depuis 2007 de cette entreprise d’aide et de maintien à domicile, la professionnelle gère une équipe de 165 auxiliaires de vie exposées dans leur quotidien de travail à des agressions sexuelles, verbales et/ou physiques, des accidents graves ou des décès. Pour ne pas laisser les travailleuses seules face à ces événements potentiellement traumatiques, la structure francilienne mise depuis plusieurs années sur une diversité d’actions. Un espace est ainsi accessible de 9 h à 18 h durant la semaine, par téléphone ou en présentiel, au moindre problème rencontré par les auxiliaires de vie. Une responsable qualité de vie au travail réalise également un suivi individuel chaque fois qu’une situation traumatique est repérée.

« Quand un bénéficiaire décède, nous signalons à cette responsable le nom des auxiliaires de vie qui l’accompagnaient pour qu’elles soient systématiquement rappelées, détaille Dafna Mouchenik. C’est aussi le cas pour des agressions ou des coups durs dans leur vie personnelle. Les professionnelles disposent par ailleurs de son numéro et peuvent la solliciter si nous sommes passés à côté de quelque chose. Comme il s’agit de quelqu’un œuvrant un peu en dehors de l’équipe, elles se confient sans peur d’être jugées. »

Lorsque la prise en charge est trop lourde, la responsable oriente vers la médecine du travail ou un psychologue. En parallèle, LogiVitae constitue de petits groupes d’auxiliaires de vie travaillant dans le même quartier, pour qu’elles restent connectées les unes aux autres grâce à des conversations en ligne. L’entreprise organise aussi des journées de formation portées par des professionnelles confirmées, qui exposent aux nouvelles recrues les risques du métier et leur donnent des clés pour réagir au mieux.

Cadre sécurisant

Toutes ces actions ne sont pas directement liées à la gestion d’événements traumatiques, mais, mises en œuvre de façon synergique, elles contribuent à offrir un cadre sécurisant, estime Dafna Mouchenik. C’est aussi le point de vue d’Isabelle Mathieu, ancienne directrice de la Mecs (maison d’enfants à caractère social) La Plantaz, en Savoie, convaincue que les réponses à apporter sont multiples et doivent être portées par l’institution.

Sous sa direction, plusieurs instances ont été mises en place : une commission « violence », en réponse à des actes posés par le jeune, des réunions de concertation pour mettre en commun les vécus du quotidien, un projet culturel, des séances d’analyse des situations de travail… « Si aucune de ces initiatives ne peut supprimer la violence, l’ensemble de ces dispositifs permet toutefois à l’équipe de rester solide et solidaire », explique Isabelle Mathieu. « Au milieu d’une centaine de salariés, on peut vite se sentir anonyme, complète de son côté Dafna Mouchenik. L’idée, c’est de toujours exister pour l’organisation, particulièrement quand on se trouve dans la douleur. »

Dans le même sens, les groupes d’analyse des pratiques professionnelles jouent aussi un rôle, assure Robin Brenneur, fondateur d’Opyxis, un réseau de psychologues du travail qui propose cet outil dans les établissements médico-sociaux. « Le fait que l’analyse des pratiques soit assurée par un psychologue pose de bonnes bases. Il s’agit d’un professionnel qui sait recevoir de la souffrance et qui, à travers ses mots, sait accueillir les émotions associées aux situations rencontrées. » Des événements ayant pu être traumatisants sont ainsi évoqués dans ce cadre-là. « Et même si nous sommes amenés à diriger la personne vers un accompagnement individuel, le collectif permet de libérer la parole et de mieux réagir », explique cet ancien directeur d’Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), qui avertit toutefois : « L’analyse des pratiques n’est pas révolutionnaire, c’est seulement un étage de la fusée de l’amélioration du bien-être des professionnels. »

« De l’ordre de l’instantané »

Le plus souvent, une gestion « à chaud » et ciblée reste nécessaire. « Quand il y a un trauma, c’est de l’ordre de l’instantané », souligne Marie Landreau, cofondatrice et directrice pédagogique d’Epsilon Melia. L’organisme de formation intervient auprès de structures, avec un mot d’ordre : réactivité. Aucun process fixe n’est établi en avance et, chaque fois, un échange avec la direction, les ressources humaines ou encore un chef de service permet de définir les contours du mode d’intervention. L’objectif est de permettre aux travailleurs d’exprimer leurs ressentis et aux équipes de se questionner de manière collective pour éviter que cela se reproduise. Selon les cas, sont proposés des temps individuels et/ou en groupe, menés par des psychologues.

« Si l’événement touche directement une personne accompagnée, il y a souvent un temps collectif proposé aux résidents, puis un temps pour les professionnels, précise Marie Landreau. Si c’est un professionnel qui se fait agresser, il peut y avoir un temps en individuel et un temps collectif avec l’équipe. Lorsque c’est très lourd, nous pouvons mettre en place plusieurs interventions en parallèle. Les situations sont variées et il n’existe pas de recette miracle. Je me souviens d’une fois où un coordinateur volait les personnes en situation de handicap. Cela a été un vrai trauma au sein de l’équipe, qui évoquait un sentiment de trahison. Mais cela peut aussi être un jeune qui lacère au couteau les vêtements d’un éduc. Quels que soient les faits, nous réfléchissons toujours à la manière la plus pertinente de fonctionner. »

L’accompagnement, une proposition

Seule ligne directrice : l’accompagnement reste une proposition et ne constitue jamais une injonction. « Dans le cas de décès, certains professionnels n’ont pas souhaité de ces temps », rapporte Marie-Lyne Domarin, directrice des ressources humaines de l’association L’Îlot, une structure d’accueil pour sortants de prison qui a plusieurs fois fait appel à Epsilon Melia. Là encore, la DRH précise que ce type d’initiatives n’émane pas nécessairement d’elle. « Soit je viens vers les professionnels, soit ce sont eux qui manifestent le besoin de bénéficier d’un espace de parole. »

Ces temps sont par ailleurs construits pour être le plus libres d’expression possible. Un point loin d’être évident, en fonction des personnes présentes autour de la table. « La hiérarchie n’assiste pas forcément à ces espaces collectifs, mais cela ne veut pas dire qu’à un autre moment elle n’aura pas un espace à elle, précise Marie Landreau. Ce type d’événement est aussi douloureux pour les cadres que pour l’agent d’accueil. Tout le monde est touché. »

Alors que la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT) imprègne de plus en plus les esprits, la directrice pédagogique d’Epsilon Melia note depuis quelques années une réelle prise de conscience des structures. Et ce, malgré le contexte de crise que traverse actuellement le secteur. « Quels que soient les champs – handicap, protection de l’enfance, précarité… –, les institutions ont la volonté de prendre soin des équipes. Avant, ces interventions étaient à la marge chez Epsilon Melia, aujourd’hui, nous en avons une à deux par semaine. »

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