Les écoles de travail social signalent aujourd’hui que les effectifs d’étudiants et d’étudiantes sont en berne. Les métiers du social perdraient de leur attractivité. Faut-il avoir la nostalgie de la période des débuts ? Un âge d’or où les candidatures affluaient répondant à l’esprit de service a-t-il vraiment existé ? Si on se réfère à la naissance de la profession d’assistante sociale dans l’entre-deux-guerres, rien n’est moins sûr. Malgré les nombreux appels au dévouement, l’élan initial semble avoir été plutôt laborieux. Les premières écoles dites « de service social », fondées au tournant de la Première Guerre mondiale, doivent ainsi multiplier les supports de propagande pour rameuter des candidates qui accepteraient de s’engager dans une fonction dont la reconnaissance officielle et les contours sont encore imprécis.
En juin 1923, par exemple, lorsque le Conseil supérieur de l’assistance publique est sollicité par cinq écoles formant essentiellement des femmes aux « carrières sociales » pour réfléchir à l’élaboration d’un diplôme d’Etat, ses responsables répondent qu’il ne pourrait être question de réglementer une profession qui ne se définit pas, qui existe à peine et qui, par sa nature même, échappe à la réglementation. Ils concluent en disant : « Le service social ne constitue pas à proprement parler l’exercice d’une profession. »
Cette lente élaboration du métier est pointée plus tard, en 1937, par le juge Henri Rollet : « De cette époque à la création du diplôme d’Etat en 1932, le service social a très peu encore le caractère d’une profession : ni statut, ni vraies coutumes, ni usages établis. Le service social n’offre que quelques types de réalisations, il est loin d’être généralisé. Il est rétribué, mais d’une façon encore indécise et quelque peu aléatoire »(1).
Bien que les fondatrices de ces écoles pionnières aient imaginé recruter avant tout un bataillon de jeunes filles de bonne famille, le profil des premières promotions d’élèves s’avère plus hétéroclite. Dans leurs lettres de motivation, beaucoup d’entre elles expriment avoir compris la « beauté de cette voie » et vouloir « donner du sens à leur vie », mais elles sont nombreuses aussi à évoquer des raisons plus pragmatiques : le besoin de gagner leur vie, dû souvent à la précarité de leur situation familiale suite à un décès ou à un accident. De fait, leur âge et leur statut sont très variables : de 21 à 50 ans, célibataires, mariées, veuves avec enfants…
De plus, très tôt, certaines aspirantes se plaignent déjà de la lourdeur des tâches administratives. C’est le cas d’un témoignage trouvé dans le dossier d’une élève de la promotion 1932-1934 de l’Ecole pratique de service social : « Les expériences pratiques faites au cours des stages ont souvent été des désillusions et m’ont surtout fait voir les difficultés profondes du service social. La première impression est de ne pas avoir assez de temps pour le travail à effectuer. Pour bien faire un travail social il faut avoir un contact réel avec ceux dont on s’occupe et le temps en est la première condition. […] Il est certain que les nombreuses fiches que l’on remplit, classe et reclasse sont utiles ; mais leur nécessité donne un caractère bien froid à un travail que je m’étais imaginé demandant surtout de l’enthousiasme et du courage. Peut-être les deux peuvent-ils coexister, mais ce que j’ai vu était vraiment un service social un peu trop bureaucratisé. » Trente ans plus tard, en 1965, à la question « Quelle idée vous faîtes-vous du service social ? », une élève de l’Ecole normale sociale répond : « Pour beaucoup, ceux qui la voit de l’extérieur et de loin, elle reste la “dame d’œuvre”, ayant dépassé 40 ans, toujours pressée, au dévouement un peu rude et aux allures de gendarme bonasse. »
(1) Dans le n° 36 du feuillet Correspondance édité en août-octobre 1937 par l’Ecole normale sociale. Premier juge des enfants à Paris, Henri Rollet est l’un des artisans de l’évolution de la justice des mineurs au début du XXe siècle.