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Enseigner le métier avec les usagers

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Pour préparer au mieux les futurs professionnels et être au plus près du terrain, les organismes de formation renforcent leur collaboration avec les usagers.

Inclusion, savoirs expérientiels, autodétermination… Depuis une dizaine d’années, la déclinaison en actions de nouvelles notions enrichit l’accompagnement proposé par les professionnels. Et bien que ces nouvelles perspectives soient déjà largement intégrées aux pratiques sur le terrain, la société continue pourtant d’ignorer ce qu’elles offrent aux publics les plus vulnérables lorsqu’elles sont expérimentées. Si les préjugés, le déni, la peur ou l’indifférence expliquent la situation actuelle, il apparaît essentiel d’en libérer les futurs travailleurs du secteur social et médico-social afin qu’ils prennent conscience des enjeux singuliers auxquels devront répondre leurs pratiques. Sur le front, les organismes de formation y travaillent déjà. La méthode : proposer des interventions de personnes accompagnées auprès des étudiants sur le lieu d’enseignement. Plébiscité par les écoles de travail social, le recours fréquent aux conférences, aux témoignages et aux échanges menés par le public aidé se révèle complémentaire aux stages effectués durant le cursus.

1 Intervertir les besoins

« Cette approche leur permet de se décaler par rapport à la représentation qu’ils ont de certains usagers, notamment des personnes en situation de handicap, assure Sylvain Pautier, responsable de formation à l’IRTS (Institut régional du travail social) de Nouvelle-Aquitaine. Il y a toujours des craintes. Au départ, personne ne pose de questions aux intervenants. Pourtant, l’abord de certains sujets tels que la sexualité se confrontera à leurs pratiques. » La configuration des rencontres constitue un autre avantage. En effet, si les personnes qui ont recours aux services sociaux et médico-sociaux sont en attente de réponses à leurs besoins, cette expérience inverse les rôles en positionnant les étudiants dans la demande et les intervenants dans une posture de « sachants ». « Les jeunes prennent conscience que, dans la vie, rien n’est figé et qu’on peut changer de statut sans que la vulnérabilité s’efface », poursuit le responsable de formation. Au cours de ces séances, le caractère concret des discussions génère de l’empathie et permet de comprendre, au travers d’un discours simple, les difficultés rencontrées dans leur vie quotidienne, personnelle ou dans les rapports avec les professionnels.

Outre le recul apporté aux élèves, il s’agit également de partager les attentes sur l’accompagnement et sur l’importance de l’autonomie dans un contexte où elle se révèle relative. L’appréhension des différentes perceptions que peut revêtir la réalité, selon les personnes et les profils à aider, est alors facilitée. « L’écoute est tout autre. Les élèves sont friands de ces moments de partage et plus attentifs que d’ordinaire, détaille Nathalie Cornélie, adjointe à la direction pédagogique de l’IRTS Ile-de-France de Montrouge – Neuilly-sur-Marne. Les interactions permettent aussi de lever les craintes ou de repenser ses choix de stage. »

2 Lutter contre les préjugés

Parallèlement au manque de considération du secteur, la méconnaissance et la mauvaise image de certains publics contribuent aux difficultés de recrutement. Or la rencontre de différents profils d’usagers permet d’endiguer les aprioris négatifs. « Pour assurer de l’attractivité aux métiers, il faut donner de l’attractivité aux populations et faire découvrir la richesse de notre milieu professionnel », explique Eric Marchandet, directeur général de l’IRTS Ile-de-France. En termes de contenus, les initiatives déclinées pour les élèves diffèrent d’un établissement à l’autre.

Diplômée depuis dix ans par le biais de l’association Handidactique, Emmanuelle Berthe, formatrice en situation de handicap, intervient une dizaine de fois par an auprès d’étudiants. « Je réponds à la demande des établissements sur plusieurs sujets, indique-t-elle. Cette semaine, je vais par exemple m’exprimer sur le code de l’action sociale et des familles et sur le projet de vie personnalisé Il m’arrive aussi de parler du handicap en France ou de ses compensations financières. » Pour aller plus loin, la formatrice propose des jeux de rôle et sensibilise aux communications verbales et non verbales ainsi qu’à l’autonomie. Pour la formatrice, la définition est claire : « Il s’agit d’accompagner pour répondre aux besoins spécifiques d’une personne en mettant en place des moyens matériels, humains et financiers. Dans la réalité, c’est plus compliqué, mais il faut garder en tête cet objectif et je le leur rappelle. » Et d’ajouter : « Connaître la déclinaison des types de handicaps et être sensibilisés aux attitudes à adopter rassure les élèves. »

L’efficience de ces projets pédagogiques tient aussi aux recettes propres des établissements, dont les modes de transmission diffèrent. Par exemple, au travers d’ateliers culturels où les usagers enseignent une activité. C’est le cas au sein de l’IRTS de Nouvelle-Aquitaine où, dans le cadre d’une médiation éducative, des élèves ont pu apprendre durant une semaine le métier de clown. « Nos étudiants préparent une émission de radio avec des usagers du secteur de la grande exclusion, ajoute Yves Meunier, directeur du pôle “recherche, innovations et développement”. Faire venir une personne accompagnée pour raconter son quotidien est insuffisant. La réussite relève du partage au sein d’espaces pédagogiques. »

3 Lier savoirs et expériences

Pour aller plus loin, chaque année, en Nouvelle-Aquitaine, un « grand témoin » dispose d’une « carte blanche » durant trente à quarante minutes pour s’exprimer devant les 300 élèves de première année. L’idée est de les faire réfléchir sur un thème pour créer des passerelles avec les stages.

En septembre 2023, le sujet abordé portait sur l’handiparentalité. « Tout le travail de la formation consiste à lier le contenu des échanges et leurs activités sur le terrain, qui représentent tout de même 50 % du temps d’apprentissage », rappelle Yves Meunier. L’intérêt pédagogique de ces programmes se situe dans l’apport de concepts qui y sont associés. Ce qui n’est pas toujours aisé en milieu professionnel, le focus se portant davantage sur les actions à mener et sur la gestion du stress.

L’acquisition de ces savoirs en école permettrait de les digérer pour les corréler à la pratique. La spontanéité de l’intervenant constitue une autre garantie de la réussite. « Moins il y a de préparation, mieux c’est, et je ne demande jamais le contenu de la séance à l’avance dans un souci d’équité entre formateurs », précise le directeur de pôle.

Des propos corroborés par Nathalie Philippe, obtentrice d’un diplôme de monitrice-éducatrice en juin 2023 après une carrière de trente années en tant qu’aide-soignante. Pour avoir bénéficié d’une intervention, elle témoigne : « C’est très enrichissant pour les jeunes. J’ai trouvé l’intervenante très au clair avec ses besoins, mais trop compréhensive envers la malveillance qu’elle subissait. Sa tolérance m’a dérangée. Je pense qu’il faut multiplier les témoignages dès la première année pour disposer de plus d’avis. »

Interdépendant du renforcement de ces pratiques, l’enjeu du financement des formateurs reste majeur. Pour éviter que ces derniers voient diminuer leur AAH (allocation aux adultes handicapés), les organismes de formation sont contraints de ne pas trop les solliciter. « Parfois on reverse aux associations et, parfois, on ne rémunère pas », regrette Yves Meunier. « Comme je veux intégrer un logement inclusif, pour ne pas perdre mes droits, je participe depuis 2022 en tant que bénévole », abonde Emmanuelle Berthe.

La bataille pour la reconnaissance et l’égalité est loin d’être achevée.

Professionnels et usagers en binômes

Dispensé par l’Université catholique de Lille en partenariat avec l’association Gapas, le projet Deshma (« Développer la sensibilisation au handicap mental par les auto-représentants ») est une formation dans laquelle, durant plusieurs mois, un professionnel et une personne en situation de handicap collaborent à la création d’un cours dédié aux étudiants en travail social. « Avec Fernand Heringuez, salarié de l’Esat Les Piérides de Saint-Omer (Pas-de-Calais), nous avons pu travailler à des places équivalentes sur le projet, indique Natacha Denekre, cheffe de service du pôle “Samo”(1) de l’association Les Papillons blancs. Cela m’a permis de réévaluer mes pratiques, en particulier pour faire face à mes automatismes. Je pensais devoir adapter ma posture au public, mais c’est lui qui nous l’apprend le mieux. »

Depuis l’obtention de son diplôme, le duo a partagé sa formation « Le regard sur le handicap intellectuel » avec l’école des directeurs d’éta­blissements médico-sociaux de Rennes et dans plusieurs promotions d’assistantes de service social et d’éducateurs spécialisés du Pas-de-Calais. « J’observe systémati­quement l’étonnement des élèves face aux capacités de Fernand. Objectif atteint ! », conclut la cheffe de service.

Contact : duosdeshma@gapas.org

Notes

(1) Service et action en milieu ouvert.

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