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Réinventer le travail social

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C’est plus qu’une question de salaire. L’attractivité du secteur social et médico-social réside dans sa capacité à repenser les organisations de travail. Et aussi à rendre visible ses réussites pour susciter l’engagement.

Les chiffres sont sans appel. A l’automne 2022, l’organisation patronale Nexem estimait à 50 000 le nombre d’emplois non pourvus actuellement dans le secteur social et médico-social. Et la tendance ne serait pas près de s’inverser. D’ici 2025, au vu des départs à la retraite, quelque 150 000 candidats pourraient faire défaut. En cause : la crise, désormais, se conjuguerait au pluriel, comme l’exprime Manuel Pélissié, directeur de l’Institut régional du travail social (IRTS) Parmentier à Paris. Selon lui, le déficit d’attractivité concerne les métiers – dévalorisés –, les emplois proposés – méconnus –, la formation – désertée – et la certification – parcellisée – : « Les quatre s’additionnent. Et l’on parle tous de la même chose, tout le temps, jusqu’à créer une cacophonie aux effets contre-productifs. »

La situation n’est pas nouvelle mais elle a pris un tournant décisif depuis que la crise du Covid a accentué de manière crue les démissions et les départs vers d’autres horizons plus lucratifs, mieux considérés. Les mesures du Ségur, dédiées dans un premier temps au secteur sanitaire, ont renforcé le sentiment que les métiers du social et médico-social n’étaient pas « essentiels » au regard notamment des professions hospitalières. Et leur extension est loin d’avoir étouffé les critiques. « 30 % des salariés du social et du médico-social n’ont pas obtenu la revalorisation salariale de 2 856 € par an prévue dans le Ségur de la santé », rappelait le collectif Ségur pour tous, lors de sa dernière mobilisation en juin dernier.

On le sait : la revalorisation des rémunérations est un élément clé. Ne serait-ce que pour éviter que la pénurie de main-d’œuvre ne dégrade trop fortement la qualité des accompagnements et génère plus de coûts induits que de bénéfices. Les têtes de réseaux, entre autres, l’ont redit dans leurs contributions au Livre blanc du Haut Conseil du travail social (HCTS), véritable feuille de route du secteur à paraître en cette rentrée 2023. Le rapport de force se poursuit donc. Mais bien évidemment, il ne constitue pas l’alpha et l’oméga des problèmes de recrutement. Et il est bien des domaines sur lesquels chacun peut apporter sa contribution. A commencer par l’organisation du travail, au cœur de ce fameux Livre blanc du HCTS.

Penser le changement

Si la « grande démission » relève du fantasme, le rapport au travail, à n’en pas douter, évolue. A la sécurité de l’emploi, que consacre le contrat à durée indéterminée, se substitue une nouvelle priorité : la mobilité. On ne fait plus carrière dans une seule et même structure. Pour autant, comme le relève l’Ecole nationale des solidarités, de l’encadrement et de l’intervention sociale (Enseis), dans une enquête pour le département de l’Ain (lire p. 42), « le travail reste central dans les préoccupations, y compris chez les jeunes. Seulement, il coexiste avec d’autres systèmes de valeurs comme les loisirs, les relations amoureuses, l’engagement, etc. » Comme dans d’autres domaines, le temps du sacrifice, qui allait parfois de pair avec un statut social, n’est plus. Et ces évolutions doivent inciter les associations à une agilité permanente, en facilitant l’intégration de nouveaux arrivants ou en veillant à mieux articuler vie professionnelle et vie personnelle.

Stéphane Michun et Cyrille Ferraton, du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq), qui mènent un travail de recherche sur le secteur de l’aide à domicile, invitent à ne pas se chercher d’excuses. Selon eux, tant les réformes structurelles du marché de l’emploi que la tendance à pointer la responsabilité des personnes et à les contrôler n’ont suffi à résoudre les problèmes d’attractivité. En revanche, « des employeurs prennent note de ces impasses et débloquent ce qui pouvait être assimilé à des difficultés de recrutement ». Ils l’ont constaté chez ADT 44, une des structures qui faisait l’objet de leur enquête (lire p. 42). « Le fait de redonner aux opérateurs de terrain une capacité à s’inscrire dans une organisation et à redéfinir un certain nombre de fonctionnements est bénéfique. Au-delà du développement de l’autonomie individuelle, une responsabilisation collective est possible, où l’opérateur apporte à des degrés divers sa pierre à l’édifice, en se sentant responsable non seulement du travail auprès de l’usager mais aussi du devenir de son association. »

Ma structure se distingue ? Reste à le faire savoir… Les travailleurs sociaux ont beau représenter un vaste pan de l’économie, ses quelque 1,3 million de salariés demeurent méconnus du grand public. Et les campagnes de communication du gouvernement n’ont guère enrayé le déficit d’image. Lorsque le secteur fait parler de lui, c’est bien souvent pour évoquer des scandales de maltraitance dans les Ehpad ou les foyers de la protection de l’enfance. Le secteur peut-il encore faire l’économie de communiquer sur ses réussites, auprès des médias ou des réseaux sociaux ? (lire p. 44) Sensibiliser, encore, sur ses valeurs et son identité. La notion de vocation, qui a trop longtemps servi de paravent pour masquer des conditions de travail difficiles, a certes vécu. Mais elle a laissé place à des valeurs d’engagement, véritable argument que bien des secteurs aimeraient pouvoir afficher. Il est possible de mieux mettre en avant l’utilité des candidats dans leur fonction. Et pourquoi pas, de faire rêver, sans occulter ses faiblesses. Plus qu’une contrainte, le défi de l’écologie constitue à ce titre une opportunité de redonner du souffle et du sens au travail, d’attirer de nouvelles générations plus conscientisées que leurs aînées.

« Il n’y aura pas de reconnaissance sans connaissance, pas de revalorisation sans valorisation », insiste Manuel Pélissié, qui invite à décloisonner les secteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux pour ne faire qu’un. « Il faut éviter de faire des différences d’appréciation. Imaginons un séisme à Haïti : on voit des barnums se mettre en place avec des professionnels venus sauver des vies. Une fois l’urgence passée, les problématiques sociales surgissent. On différencie le temps du travail social, qu’on ne reconnaît pas. Imaginer les trois domaines est un des principaux leviers de visibilité. On n’a pas conscience de notre poids économique : les trois secteurs réunis sont plus importants que ceux de l’informatique ou de la banque. » Identifier le travail social, c’est aussi le faire exister en tant que discipline. De la conférence de consensus au Cnam en 2012 au rapport « Piveteau » de 2022 jusqu’aux recommandations du HCTS, l’idée prévaut qu’une reconnaissance académique contribuerait à valoriser le secteur.

S’ouvrir à la société

Rendre visible, c’est aussi s’ouvrir à la société. A l’image des nombreux tiers lieux qui accueillent des personnes précaires via des hébergements d’urgence et des activités d’insertion. « Ces espaces d’engagement et de fabrique de liens » constituent une « opportunité de rendre visible la fonction essentielle du travail social, du soin, explique William Dufourcq, délégué tiers lieux solidaires à l’association Aurore, dans un ouvrage à paraître édité par Plateau urbain. C’est aussi la possibilité de remettre la solidarité au cœur de notre projet collectif de société à un moment où la peur, la colère et le repli sur soi gangrènent le lien social. » Une manière encore de redonner du sens au travail social, « passé en quelques décennies d’une logique militante et collective à une fonction en crise, laminée par le libéralisme et l’individualisme ».

Il est, enfin, un autre défi passionnant : celui de la lutte contre les stéréotypes de genre. Parce que les représentations confinent les femmes dans les activités liées au soin de l’autre, elles représentent aujourd’hui 90 % des salariés du secteur. Et leurs compétences, associées aux tâches de la sphère privée, comme le soulignait Véronique Bayer, directrice de l’institut de formation de l’Essonne (Irfas), lors des auditions du Livre blanc, souffrent d’un manque de considération. Attirer des hommes paraît nécessaire face aux problématiques de recrutement, sans privilégier pour autant les valeurs dites « masculines », fondées sur la rationalité, au détriment du « care ».

Certes, modifier ces constructions sociales ne se fera pas en un jour. Mais ouvrir des espaces de débat constitue le début d’une prise de conscience essentielle. Et là encore, les jeunes générations n’y sont pas insensibles, laissant présager un avenir enthousiasmant pour un travail social portant haut et fort les défis du monde contemporain. Par-delà les orages.

En chiffres

Selon le Baromètre Opco Santé 2022, les métiers les plus recherchés sont ceux d’aide-soignant (15 500 postes à pourvoir), d’éducateur spécialisé (5 800) ou encore d’accompagnant éducatif et social (4 600). Face à ces constats, 61 % des établissements réorganisent le travail. Et près de la moitié d’entre eux (47 %) recourent aux contrats-jour, aux heures supplémentaires ou à l’intérim. Ces établissements multiplient aussi les démarches : 61 % collaborent avec Pôle emploi ou les écoles, 39 % gèrent un vivier de candidats, 38 % prennent en charge des formations diplômantes pour les salariés et 34 % améliorent l’intégration des nouveaux arrivants ou mutualisent les personnels entre structures. L’alternance est plébiscitée comme un levier clé de recrutement : un établissement sur deux envisageait d’y avoir recours en 2022. Un bémol majeur en matière de formation : les taux d’abandon parfois très élevés, comme sur les diplômes de techniciens de l’intervention sociale et familiale (31 %) ou de conseillers en économie sociale et familiale (18 %).

La liberté, condition du bonheur

« Existe-t-il des travailleurs sociaux heureux ? » C’est la question que se sont posée Brigitte Baldelli et Camille Thouvenot, respectivement chercheuses en sociologie et en sciences de l’éducation, rattachées à l’association Faire-ESS (Occitanie), en débutant l’an dernier un travail de recherche sur l’attractivité. Constatant que les travaux habituels s’intéressaient plutôt aux causes et aux conséquences du problème, elles ont voulu en prendre le contre-pied. « On a distingué la notion de bonheur de celle du bien-être que les managers lient à la qualité de vie au travail et aux salaires. Ainsi, selon nos premières hypothèses, les conditions du bonheur se résumeraient à trois points essentiels : la nécessité de trouver du sens à son travail en accord avec ses valeurs ; de se sentir libre ; et d’être reconnu par sa hiérarchie et par la société, expliquent les chercheuses. Ces aspirations à la liberté et à l’auto-organisation, quels que soient les niveaux de qualification, rejoignent les changements sociologiques du XXe siècle, où chaque individu, une fois sociabilisé, souhaite être reconnu pour ce qu’il est. »

Plus qu’une question de rémunération, le bonheur tiendrait donc avant tout à l’organisation du travail et à la présence d’équipes soutenantes.

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