Dès la première loi sur le surendettement(1), les tribunaux acceptèrent le dépôt d’un dossier lorsque les difficultés étaient prévisibles sans être encore effectives. Par exemple, le tribunal d’instance de Toul jugea en ce sens le 9 avril 1990 pour un débiteur qui « honore toutes ses dettes au jour du jugement, mais dont la situation va s’aggraver lorsque sa concubine ne percevra plus d’allocations chômage ».
La loi, dans sa rédaction initiale comme aujourd’hui l’article L. 711-1 du code de la consommation, dispose que « la situation de surendettement est caractérisée par l’impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble de ses dettes, professionnelles et non professionnelles, exigibles et à échoir ».
En pratique, cette démarche préventive n’est pas courante. Il faut dire que les commissions de surendettement peinent déjà à traiter le flot de dossiers que la succession de crises a généré. Mais on ne peut louer les mérites de la prévention et de l’anticipation tout en demandant à la personne prévoyante de revenir lorsqu’elle croulera sous les dettes et souvent les poursuites !
En 2021, les pouvoirs publics, inquiets des répercussions de la crise du Covid et des limites de la manne budgétaire (le « quoi qu’il en coûte »), ont souhaité réactiver l’approche préventive, que l’actuelle inflation rend d’autant plus pertinente. Dans une circulaire NOR ECOT 2105604C du 1er avril 2021, le ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance indique : « Le fait que le débiteur ait été en mesure d’honorer ses engagements sans incident jusqu’au dépôt du dossier ne doit pas conduire à déclarer son irrecevabilité si l’examen de sa situation fait apparaître que des difficultés financières sont inévitables à brève échéance. » Voilà qui est dit ! Il ne reste plus aux commissions de surendettement que d’en prendre acte, pour peu qu’on le leur demande.
Les travailleurs sociaux ne doivent donc pas hésiter à saisir la commission de la Banque de France, le cas échéant en rappelant la circulaire précitée (même si elle n’a pas force de loi), avant que le désastre soit effectif. Au préalable, il est souhaitable de proposer à l’amiable un aménagement des dettes ou un moratoire à certains créanciers – en particulier les banques, les organismes de crédit, le Trésor public, éventuellement le bailleur si l’on est en situation d’honorer les loyers courants –, et ce, même si elles ne sont pas encore exigibles… Les demandes et les réponses seront jointes au dossier si les rééchelonnements éventuellement accordés ne suffisent pas à échapper au surendettement.
Cette méthode préventive n’est pas sans rappeler la possibilité offerte par l’article L. 314-20 du code de la consommation, qui permet au juge de suspendre le remboursement d’un emprunt sans frais ni intérêts supplémentaires à la charge de l’emprunteur.
Plus généralement, le droit s’avère souvent être un outil redoutable dans les relations entre créanciers et débiteurs, mais les travailleurs sociaux qui accompagnent ces derniers ne peuvent pas (toujours) s’appuyer sur des services juridiques de pointe, comme ceux des banques ou des entreprises de télécommunication. On entend souvent qu’on trouve tout sur Internet et maintenant sur ChatGPT, ce qui n’est pas exact dans des disciplines où l’interprétation est reine. Mais, surtout, trouver la bonne réponse implique de poser d’abord la bonne question : « Peut-on déposer un dossier de surendettement à titre préventif ? » Eh bien oui !
(1) Loi « Neiertz » du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles.