Gros plan sur le visage d’Irina. La tête inclinée d’empathie, la jeune fille plante son regard clair dans celui de son interlocutrice, et déclare de but en blanc : « Comment t’es arrivée là, toi ? » Silence pesant. La caméra pivote et se fixe sur Mélissa. Recroquevillée dans son épais col roulé bleu, l’adolescente bredouille quelques mots avortés, puis se lance, les yeux au sol : « C’est mon frère… Il me fait des trucs. Ce n’est pas le seul. Mes cousins aussi. Mais heureusement, en ce moment, je ne me rappelle pas tout, sinon je pense que je sauterais par la fenêtre. » Inspiré de fait réels, le dialogue est issu de Mélissa et les autres, un film de 18 minutes réalisé par Johanna Bedeau. Conçu dans la lignée des mallettes pédagogiques élaborées par la Miprof (mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains), le court-métrage va de pair avec un livret théorique. Une association hors norme dans les formations, mise au point par la Ciivise.
« Le sujet des violences sexuelles faites aux enfants fait l’objet d’un déni massif, notamment en raison de l’effet de sidération : personne ne veut avoir en tête les images qu’implique la pensée du viol d’un enfant, rappelle Edouard Durand, son co-président. Pour élaborer cet outil de formation, nous avons donc voulu ajouter aux connaissances intellectuelles un court-métrage qui incarne l’enfant réel. Les comédiennes du film permettent la modélisation, qui aide à se représenter d’autres victimes : garçons, enfants porteurs d’un handicap, enfants plus jeunes… »
Elaboré en partenariat avec les ministères concernés, le kit se veut aussi exhaustif qu’interdisciplinaire, afin de créer « une doctrine nationale du repérage et du signalement, insérée de manière effective dans la formation des professionnels ». « Pour que la chaîne de protection soit la plus solide possible, il faut que l’ensemble des professionnels qui interviennent auprès des enfants dans les situations de violences sexuelles soient sécurisés par des repères précis, communs et fiables, précise le co-président. On identifie bien qu’il faut des juges dédiés aux affaires financières, des médecins spécialisés pour certaines pathologies, c’est aussi vrai dans ce cas des violences sexuelles : elles exigent un haut niveau de compétences. »
Multiforme, pratique et regorgeant d’exemples, l’outil a déjà été téléchargé 8 000 fois par des organismes de formation. A l’image de l’IRTS de Montrouge, qui compte bien l’intégrer dans ses cours. « Le repérage et le signalement des violences sexuelles supposent de réinterroger ses pratiques en permanence, estime Gabrielle Garrigue, formatrice. Le recueil de la parole des mineurs qui en sont victimes est un exercice particulièrement délicat et complexe. Même quand on y est sensibilisé, cette situation reste tellement insupportable à entendre que l’on peut avoir des réactions inadaptées. Mais l’enfant ne se livre souvent qu’une fois, alors il faut être sûr d’être en mesure de recevoir sa révélation à tout moment. »
La loi du 21 avril 2021 sur les violences sexuelles sur mineurs constitue un progrès indéniable. Première avancée, la vulnérabilité de l’enfant est désormais prise en compte. En cas de délit ou crime sexuel, la contrainte de l’adulte sur le mineur est présumée.
Plus besoin de caractériser la contrainte, violence, menace ou surprise, comme pour les majeurs.
L’âge de la victime constitue également une circonstance aggravante et augmente la peine encourue.
Sont concernés les moins de 18 ans pour l’inceste, les moins de 15 ans (avec cinq ans d’écart) pour les délits ou crimes sexuels.
Le texte précise également la définition de l’inceste :
Pour être considérés comme tel, les viols et agressions sexuels doivent être commis par un ascendant ou un frère, une sœur, un neveu, une nièce, un oncle, une tante, un grand-oncle, une grand-tante.
Sont également qualifiés d’incestueux les violences sexuelles perpétrées par les conjoints, concubins ou pacsés des personnes mentionnées précédemment.
Un père impose à son fils de 17 ans une sodomie : il y a pénétration, le père est un ascendant
→ c’est un viol incestueux.
Un jeune homme de 22 ans impose une fellation à un collégien de 14 ans : il y a pénétration, la contrainte est présumée, la victime a moins de 15 ans, la différence d’âge entre la victime et l’agresseur est supérieure à cinq ans
→ c’est un viol sur mineur de 15 ans donc avec circonstance aggravante.