La charte de la laïcité de 2006 impose une stricte invisibilité de tout signe religieux dans les établissements publics. Les ESMS publics sont naturellement concernés par cette obligation de neutralité cultuelle qui s’impose également à l’ensemble de leurs agents. Elle ne s’applique en revanche pas à leurs usagers.
Ces derniers, souvent issus de pays où les ressorts du religieux déterminent fortement tant leur identité que leur bien-être intérieur, se retrouvent alors parfois isolés et non compris face à des professionnels démunis sur les questions spirituelles et religieuses. La loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, suivie par celle du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation de son visage dans l’espace public, en référence au port de la burqa par certaines femmes musulmanes, ont eu pour effet de durcir la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat. Mais elles consacrent également la primauté donnée à une laïcité restrictive de la liberté de conscience sur une laïcité liberté.
Si la République ne reconnaît en effet aucune religion, elle les accepte toutes au nom de la liberté de conscience consacrée par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Inscrit dans la loi de 1905, le financement public des aumôneries a permis de rendre effectif l’exercice de cette liberté de conscience dans les armées, les hôpitaux ou les prisons. Dans les établissements sociaux et médico-sociaux, rien de tel n’a été proposé, et la mise en conformité avec ce volet de la loi de 1905 reste à venir. Toute une partie de leur mission d’inclusion sociale est ainsi mise en attente.
Dans le contexte de l’aide sociale, les missions des agents consistent à apporter une assistance de vie et à assurer des actions de prévention afin d’aider et à la réinsertion des personnes prises en charge dans leur globalité, et respectées dans leurs spécificités et dans leurs convictions. Aujourd’hui pourtant toute spécificité de croyance est simplement ignorée par les travailleurs sociaux, au nom d’une certaine laïcité. Ces derniers, également soumis à cette négation de leur vie spirituelle, doivent trouver seuls les ressources nécessaires pour répondre aux questionnements des usagers qui les atteignent parfois de plein fouet dans leur for intérieur. Tandis que l’usager pourra taire toute demande d’assistance spirituelle par respect pour le cadre « laïc » imposé, voire par crainte d’être jugé.
La difficulté de l’application égalitaire de la loi de 2004 tient dans l’ignorance de ce que représente réellement un symbole religieux. Issue de la culture populaire, la main de Fatma est pourtant considérée comme un symbole religieux. De même que le croissant ottoman qui n’a jamais représenté l’islam mais bien l’Empire ottoman. Dans l’islam, seule la langue arabe, en tant que langue sacrée du Coran, est porteuse de symbole. Ainsi, le pendentif indiquant « Allah » pourrait légitimement être interdit, mais s’il indique le prénom de son porteur, il sera autorisé, à la condition que l’administration dispose des ressources linguistiques pour pouvoir le lire.
Le respect de la liberté de conscience et son application concrète ne peut passer que par une démarche d’inclusion cultuelle et de reconnaissance mutuelle dans un espace, réellement laïc, offert par l’Etat. C’est ainsi en tant que cadre de liberté d’expression et non en tant qu’outil d’oppression des consciences que la laïcité doit être pensée. L’enjeu étant que la règle de séparation entre les Eglises et l’Etat, poussée à son extrême, ne dérive en séparatisme communautaire, en réaction à une offensive « laïque ».
Dans des institutions sociales historiquement fondées par l’Eglise sur un idéal de charité chrétienne, la figure du psychologue tend aujourd’hui à combler le vide laissé par le prêtre. Mais limité à la prise en charge psychique des usagers, il demeure démuni face à la vie spirituelle de ses potentiels patients.
La présence d’aumôniers au sein des établissements sociaux et médico-sociaux constituerait un réel complément d’éducation, d’assistance et de prévention sur un plan spirituel aujourd’hui totalement abandonné. La psychanalyse elle-même, encore très prégnante dans les écoles françaises de psychologie, ne demande-t-elle pas au patient de « croire » faute de pouvoir guérir ? Par l’affirmation d’une laïcité inclusive, sans épaisseur idéologique de type « anticléricalisme », l’institution publique dispose du moyen de mieux reconnaître tous les cultes, non en les privant d’expression mais en les accompagnant pour que chacun puisse et se positionner à juste distance entre expression de sa foi personnelle et respect de celle de l’autre.