Le 10 juillet prochain, Emma, 8 ans, et Rose, 6 ans(1), partiront à l’aventure. Pas seulement grâce à la parenthèse enchantée qu’un séjour de trois jours et deux nuits dans un camping d’Anduze, dans le Gard, représente pour les fillettes. Toutes deux suivies depuis trois ans par l’aide sociale à l’enfance dans le cadre d’une mesure SAPMN (service d’adaptation progressive en milieu naturel), ces deux sœurs expérimenteront aussi une expérience hors normes mise en place par la Mecs nîmoise Coste : le camp partagé. Proposé depuis cinq ans par la structure, ce dispositif permet aux enfants qui y sont hébergés ou suivis en milieu semi-ouvert de passer un moment convivial commun avec leurs familles respectives et des membres de l’équipe éducative, le temps d’une journée ou d’un week-end prolongé. Chaque été, des séjours réunissant une ou plusieurs de la quinzaine de familles sélectionnées sont organisés, cofinancés par les parents et l’association. D’un usager à l’autre, les objectifs varient. Il y a deux ans, Emma et Rose étaient surtout parties pour souffler en dehors de Nîmes avec leur éducatrice, leur mère et une autre famille monoparentale, également accompagnée par son éducateur. « Cela a permis de croiser les regards entre professionnels », précise Adeline Deszez, éducatrice spécialisée. Cette fois-ci, c’est avec un père débordé par ses émotions et qui peine à tenir son rôle sans excès, leur belle-mère et le bébé d’un an que le nouveau couple a eu qu’elles essaieront de tisser des liens moins conflictuels. « Me découvrir au réveil ou en maillot de bain change le regard des parents, assure Adeline Deszez. En partageant des temps informels dans un contexte différent, apaisé, notre relation gagne en confiance, se détend et devient plus égalitaire. Je peux recadrer certains comportements en interagissant avec l’ensemble de la famille. » L’occasion aussi de s’appuyer sur les savoir-faire réciproques des professionnels et des usagers, qui se complètent au lieu de se concurrencer. « Amateur de pétanque, le père sera valorisé, explique l’éducatrice. Plutôt que de l’aider à travailler sa parentalité à partir de ses manques, c’est une façon de le faire en se fondant sur ses forces. »
A.-N. D.
Lancé il y a près de trois ans, le « relais familial » de la Mecs Saint Joseph, initié par Apprentis d’Auteuil à Blanquefort (Gironde), accompagne des familles en prévention d’un éventuel placement. « Plutôt que d’envisager la séparation, nous voulons apporter des solutions à la famille entière, explique Emilie Pellerin, directrice adjointe de la Mecs. Nous prenons en compte tout le système de la famille, et pas seulement le noyau restreint. Nous accompagnons des parents isolés, des couples, avec un ou plusieurs enfants. Mais il y a aussi d’autres schémas, comme cette mère accueillie avec ses enfants et son frère de 15 ans. » Sept appartements sont mis à disposition des bénéficiaires, orientés par les assistantes sociales de secteur, en général à la suite d’une information préoccupante. L’équipe, composée d’une éducatrice, d’un CESF et d’une psychologue à 80 %, travaille sur place pour permettre un suivi de proximité. D’un an et demi au maximum, l’accompagnement est renouvelable tous les six mois.
Après avoir « mis à plat » la situation administrative, sociale et professionnelle de la famille, un travail sur le relogement est entamé. Le volet éducatif consiste, quant à lui, à « donner des clés pour que les personnes se repositionnent dans leur rôle de parents », rapporte Emilie Pellerin. « Tout l’enjeu est de s’appuyer sur leurs compétences et sur leur réseau quand ils en ont un. » L’entièreté du projet repose sur l’adhésion des familles. « Certaines disent parfois vouloir s’engager et sont finalement réticentes à l’arrivée, car le dispositif leur paraît intrusif. L’idée est de prendre le temps de tisser du lien par des activités collectives, comme des ateliers cuisine ou des sorties. »
L’expérimentation, qui concerne un autre « relais familial » à Nantes, fait l’objet d’une évaluation dont les premiers résultats sont encourageants. Sur 64 enfants accompagnés, un seul a été concerné par une mesure de protection dans les douze mois ayant suivi la sortie du dispositif.
Marie Nahmias
C’est une grande affiche placardée sur un mur, constellée de petits personnages et de bâtiments reliés les uns aux autres par des flèches colorées. Un schéma simplifié, aux faux airs enfantins, pour rendre compte avec clarté des interconnexions entre les différents acteurs de la protection de l’enfance, les enfants suivis par l’ASE (aide sociale à l’enfance) et leurs familles. Lancé en 1996 par le neuropsychiatre Jean-Marie Lemaire dans le cadre de la « clinique de concertation » – une approche systémique qui consiste à faire collaborer, à l’initiative des bénéficiaires, différents intervenants autour d’une problématique commune –, le « sociogénogramme » est un outil utilisé par la Mecs (maison d’enfants à caractère social) Coste, à Nîmes. Feuille blanche remplie pas à pas par un éducateur lors de sa première rencontre avec les familles des mineurs accueillis, ce travail de co-construction, où chacun participe, est destiné à rééquilibrer les relations entre les usagers et les professionnels pour laisser la place à une réelle collaboration. D’abord, en clarifiant la situation. Le schéma permet à la fois d’expliquer le fonctionnement du foyer et de transformer la complexité des interventions successives des multiples acteurs de l’ASE en un parcours clair et cohérent. Le tout en laissant le temps d’assimiler les informations grâce au rythme apaisé du dessin. Ensuite, en nivelant la relation, puisque que l’équipe éducative est ici la première à se raconter et que la famille n’est plus la seule à devoir dévoiler son histoire. Enfin, en proposant aux parents de se présenter selon leurs propres critères et, ainsi, de se définir également par leurs compétences, afin de ne plus être réduits à leurs défaillances.
A.-N. D.
« Nous pensions peut-être à quelque chose de plus académique, mais notre logique de co-construction nous engage à prendre ce qui vient des enfants comme de leurs parents, à accepter qu’ils apportent une pierre que nous n’avions pas même imaginée », témoigne Luc Vesserbelt à propos des empreintes de mains multicolores qui décorent le mur de l’accueil de jour de l’association Appuis, qu’il dirige. Si ces détails peuvent sembler anecdotiques, ils symbolisent la philosophie de cette structure ouverte en janvier dernier dans le Haut-Rhin : permettre aux familles de s’y sentir chez elles. Réparti sur deux sites, à Altkirch et à Saint-Louis, le dispositif propose une capacité de dix places pour des enfants âgés de 7 à 11 ans. Les orientations sont décidées par l’aide sociale à l’enfance, par le biais d’une mesure judiciaire ou d’un placement administratif contractualisé avec l’institution. L’équipe de professionnels – une cheffe de service, une coordinatrice, deux éducateurs, un psychologue à temps partiel – effectue quatre interventions par semaine, dont une le mercredi, une ou plusieurs visites à domicile, ainsi que d’éventuelles rencontres à l’extérieur, en terrain neutre. « Lorsque nous allons dans la famille, notre action est parfois centrée sur le soutien à la parentalité, parfois davantage tournée vers les relations entre les parents et les enfants. Ou alors nous décidons de nous consacrer uniquement à l’enfant, à travers de l’aide aux devoirs, par exemple », précise Jessica Rouhani, coordinatrice. Pensé comme une étape d’un an ou deux, idéalement avant un retour « à la normale », l’accueil de jour associe le plus possible les familles pour « que cette mesure ne soit pas juste un service que l’on consomme », qu’elles y trouvent du sens et y adhèrent. Un des défis : valoriser leurs compétences afin qu’ils deviennent acteurs. Par exemple, à travers des ateliers de cuisine, où les mamans transmettent ce qu’elles aiment à leurs enfants. Ou encore une sortie organisée par un père fan de motos, une après-midi brocante pour aller chiner le nouveau meuble qui ornera l’entrée de la structure, une journée collective dans un parc d’attractions… « La posture d’expert sachant est plus confortable, reconnaît Luc Verbesselt. Faire participer, réellement, demande aux travailleurs sociaux de l’agilité, de la souplesse. Et de retrouver une certaine culture du risque. »
Laurence Ubrich
Adeline Deszez n’est pas près d’oublier sa récente participation au groupe « famille-professionnels ». Ce jour où elle a écouté, tétanisée, une mère qu’elle n’avait jamais rencontrée raconter son premier échange téléphonique avec la Mecs Coste, à Nîmes. « Elle décrivait une intervenante sèche, agressive. Soudain, je me suis décomposée : je venais de comprendre qu’elle parlait de moi, se désole l’éducatrice spécialisée. Je regardais cette pauvre dame, tellement désolée. Alors que j’essaie de paraître plein d’assurance, pour rassurer, encadrer les parents, je me suis rendu compte qu’eux voient des personnes trop sûres d’elles, dogmatiques. »
C’est ce type de malentendu qui a décidé l’équipe éducative de la maison d’enfance à créer il y a sept ans ce groupe d’échange. Un dispositif annuel qui réunit chaque mois les proches des enfants confiés qui le souhaitent et les membres de la Mecs pour partager un verre dans un lieu neutre. « Nous ne sommes plus dans une démarche d’évaluation, mais dans une conversation d’humain à humain, de maman à maman, raconte Adeline Deszez. Pour établir un équilibre, nous veillons à être le même nombre de professionnels que de parents. » Informel, l’échange prend la forme d’une conversation à bâtons rompus. Météo, actualité, échange d’expérience entre parents, difficultés de la vie quotidienne, recettes de cuisine… Tout sujet peut être abordé. « J’avais besoin de considérer les familles, de comprendre comment elles vivaient nos interventions pour gagner en compétence, estime Solen Lyon, éducatrice. Ça bouscule et impacte nos pratiques, mais le panel de solutions s’enrichit à chaque échange. » Faut-il toquer à nouveau à la porte d’entrée lorsque personne ne répond ? Une fois entré, doit-on enlever ses chaussures ou les conserver ? S’asseoir ou rester debout ? Caresser le chien ou l’ignorer ? Autant de détails en apparence anecdotiques, mais qui restent cruciaux pour éviter la violence d’une intervention ressentie comme trop intrusive et l’instauration d’un climat de défiance entre les intervenants. « Ma première rencontre avec une éducatrice a été catastrophique. Elle ouvrait mes placards, soulevait les draps, j’avais l’impression qu’on violait mon intimité, raconte une mère dont les enfants ont été placés pendant quatre mois. Pendant longtemps, dès qu’une nouvelle éducatrice apparaissait, j’avais peur qu’elle me juge et prenne mes enfants. Le groupe m’a aidée à prendre confiance en moi, à voir que je n’étais pas seule dans mon cas. Aujourd’hui, j’ose échanger sans appréhension. »
L’objectif : libérer la parole pour déconstruire les représentations de l’autre et rééquilibrer la relation entre les professionnels et les parents. Et, à terme, adopter des pratiques plus adaptées à une collaboration efficace. « Ce groupe a un but, résume Julie Rieussec, éducatrice spécialisée. Nous aider à mieux les aider. »
A.-N. D.
L’un des services de la Mecs Don Bosco, à Charleville-Mézières (Ardennes), gérée par les Apprentis d’Auteuil, met à disposition des familles d’enfants placés au sein de la structure ou ailleurs trois appartements en centre-ville. « Lorsque c’est possible et validé par le juge, l’idée est de montrer aux parents que nous leur faisons confiance pour accueillir leur enfant. Mais pas chez eux, chez nous », présente Karine Michel, directrice de l’établissement. Les clés du logement sont alors confiées au parent, qui peut investir les lieux et le décorer, le temps d’un après-midi, d’un week-end, de vacances ou de jours en semaine pour accompagner son enfant à l’école lorsque celle-ci se situe à proximité. Au total, la participation à ce dispositif peut aller jusqu’à dix-huit mois. Progressivement, un accompagnement des fonctions parentales est mis en place, en amont et à l’issue des moments d’occupation de l’appartement. Durant le temps d’hébergement, la présence éducative se fait plus discrète. Cette approche permet de nombreux retours à domicile, ou d’élargir les droits de visite pendant l’année, assure la directrice. « Et même lorsque nous n’arrivons pas à un retour, cela laisse à l’enfant la possibilité de s’ancrer dans son histoire familiale pour bien grandir. »
M. N.
(1) Les prénoms ont été changés.