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Utile, enfin !

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Elles sont trois. Trois jeunes femmes, copines depuis toujours, en soirée dans une ville portuaire.

Ils sont trois. Trois jeunes hommes, embarqués sur le même bateau, en escale dans la même ville. Ils sont là pour s’amuser, alors c’est tout naturellement que la conversation s’engage. En anglais, parce que nos trois jeunes fêtards ne parlent pas français.

– What is your job ?

– We’re sailors.

Forcément, dans une ville portuaire, trois jeunes Anglais dans un port, ce sont des marins. Des vrais, qui voyagent et naviguent de mer en mer et de port en port.

– And you ?

– I am a secretary, répond la première. Un métier qu’il n’est nul besoin d’expliquer.

– I am a nurse, ajoute la deuxième. Aaaaah ! Le si beau métier que voilà ! La douceur incarnée, le soin et le lien !

La troisième hésite, réfléchit. Giulia est « chargée de mission », ce qu’elle pourrait traduire par « project manager ». Elle pourrait aussi donner l’intitulé complet : « chargée de mission en dimensionnement des réseaux d’eaux pluviales, études de pentes, de capacités de bassins de rétention et de tuyaux » mais ça ne dirait rien de son quotidien. Au mieux, ils lui demanderaient poliment en quoi ça consiste et écouteraient à peine la réponse. Au pire, ils éclateraient de rire avant de lui demander son « vrai » métier.

Et pourtant, elle sait combien elle est utile. Après les inondations de 1999, c’est elle qui est allée faire du porte-à-porte, recueillant les témoignages de tous ces gens qui avaient vu l’eau s’engouffrer dans leurs maisons, accueillant leurs histoires et leur désespoir. Elle a écouté, mesuré, chiffré, pour l’étude de marché. Elle a écrit, transcrit, transmis, pour le futur budget. Et tout est tombé à l’eau. Parce qu’un bon copain du maire avait une demande urgente pour sa maison. Alors, on a oublié les personnes inondées, il fallait faire un choix et elles ne faisaient pas le poids. Giulia repense à toutes ces heures payées par la collectivité et oubliées au fond d’un dossier. Et elle finit par répondre laconiquement : « No matter ! ».

Peu importe. Au fond, c’est toujours la même eau qui coule, l’eau rance des cuvettes qui débordent et des maisons noyées, l’eau salée de la mer que prennent les uns et des larmes que versent les autres.

Le lendemain, elle a annoncé qu’elle refuserait le renouvellement de son CDD. Tout bien réfléchi, elle ne voyait pas son avenir dans une mission qui privilégiait l’intérêt particulier au bien commun.

Aujourd’hui, Giulia est infirmière et, selon que vous serez puissant ou misérable, ça ne change rien pour elle : elle soigne, sans privilège ni passe-droit. Elle se sent utile, enfin !

La minute de Flo

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