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Consolider les pratiques des intervenants sociaux

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Si la présence des professionnels du social en commissariat et gendarmerie se multiplie à travers l’Hexagone, son efficacité s’avère encore difficilement mesurable. Le renforcement du dispositif demeure un enjeu crucial, notamment en termes de prise en compte des victimes de violences conjugales.

« Au départ, cela restait des initiatives individuelles et quelque part assez militantes », se souvient Anne Wuilleumier, cheffe du département « études et recherche » de l’Institut des hautes études du ministère de l’Intérieur (IHEMI) et sociologue. Il aura ainsi fallu plus d’une quinzaine d’années avant que le poisson-pilote du dispositif, l’Association nationale d’interventions sociales en commissariat et gendarmerie (ANISCG), réussisse à déployer des travailleurs sociaux à travers la France. Désormais, ils sont près de 450, chargés d’accueillir, de conseiller et d’orienter les personnes vulnérables vers des structures en capacité de les accompagner. Soit environ 200 postes créés ces seules deux dernières années. Un essor rapide s’expliquant en grande partie par le Grenelle des violences conjugales. Lancé en 2019, il a représenté un réel tournant en permettant de débloquer des fonds, là où « pendant très longtemps, l’investissement a été extrêmement chaotique », souligne la chercheuse.

Aujourd’hui, l’ANISCG, qui plaide pour mailler le territoire en appliquant un ratio d’au moins un intervenant social en commissariat et gendarmerie (ISCG) pour 150 000 habitants, se montre confiante. En effet, les années à venir devraient voir la création de quelque 200 postes supplémentaires. « Nous arriverons à une couverture qui sera importante. Je pense qu’aujourd’hui il n’est plus possible de supprimer ce dispositif d’un seul coup », assure Laurent Puech, chargé de mission au sein de l’association.

Une présence plébiscitée par les pouvoirs publics

Un développement favorisé aussi par un contexte historique, dans lequel les forces de l’ordre se sont en parallèle progressivement éloignées de leur rôle de proximité. « En sociologie de la police, la tirade consistant à dire que les policiers ne sont pas des travailleurs sociaux est bien connue. C’est une manière de se distinguer professionnellement », indique Anne Wuilleumier, mettant en avant la judiciarisation du travail des policiers au fil des dernières décennies. « Or plus vous définissez des frontières strictes aux métiers et plus vous mettez en place des conditions pour créer du partenariat. Lorsque vous ne faites plus quelque chose, vous avez besoin d’aller chercher celui qui est institué pour le faire avec vous. La présence d’intervenants sociaux dans les commissariats est donc l’une des manières de répondre à cette réalité », observe la chercheuse.

Si le bénéfice du rôle d’accompagnement des ISCG a longtemps été sujet à discussion, ce débat semble désormais s’être peu à peu clos, à mesure que leur présence a été plébiscitée par les pouvoirs publics. Pour Isabelle Guion de Meritens, inspectrice générale de l’administration honoraire et co-rapporteuse pour l’inspection générale de l’administration (IGA), chargée d’évaluer ce dispositif en 2021, aucun doute quant à son efficacité. « C’est un complément indispensable. Les policiers et les gendarmes, dans leur travail au quotidien, identifient énormément de situations dramatiques qui ne vont pas nécessairement donner lieu à des signalements envers les travailleurs sociaux. Cela permet véritablement d’améliorer les réponses à ces personnes », assure-t-elle. Néanmoins, cela n’a pas empêché les rapporteuses de pointer les difficultés pour mesurer l’impact d’un tel dispositif. En cause, sa dimension territoriale, des outils de reporting partiels et peu fiables. Pour en évaluer les bienfaits, elles se sont donc appuyées sur une série de questionnaires transmis aux parties prenantes. La prise en charge des femmes victimes de violences, l’amélioration de l’accueil des victimes et la complémentarité de l’ISCG avec les services sociaux départementaux représentaient les trois principales forces identifiées par les policiers et les gendarmes. Avec, en quatrième position, l’allègement de la charge pesant sur ces derniers. « C’est bien la prise en charge globale des personnes en détresse qui est importante et qui va délivrer les forces de l’ordre de la frustration qu’elles pouvaient éprouver en ayant le sentiment de ne pas avoir suffisamment aidé les personnes présentant souvent des situations sociales complexes », souligne l’IGA.

Ces questionnaires ont révélé, en parallèle, la place prépondérante dédiée aux femmes victimes de violences. « Nous nous sommes aperçues que les travailleurs sociaux s’adressent quand même en très grande majorité à un public de femmes, dont beaucoup subissaient des violences intra-familiales ou autres », confirme Isabelle Guion de Meritens. Si la structuration est différente d’un département à l’autre en fonction des organismes financeurs, selon Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale Solidarité femmes, le dispositif reste intéressant : « Il permet aux femmes d’être reçues avant le dépôt de plainte, de faire le lien avec les policiers et les gendarmes mais aussi d’assurer les articulations avec les associations qui peuvent prendre la suite sur le suivi à plus long terme. »

Un bémol cependant : le risque de ne pas prendre suffisamment en compte l’ensemble des bénéficiaires potentiels. « Depuis le Grenelle, il y a eu une accélération du développement du dispositif. Mais cela teinte parfois un peu les postes. Nous voyons des intervenantes sociales spécifiquement chargées de traiter des violences conjugales. A l’origine, ces postes étaient pensés pour être plus larges, insiste Laurent Puech. Ce n’est pas inintéressant de travailler sur une répétition de la fugue chez un mineur, par exemple. Ou encore sur la situation générale de violence avec les différents acteurs concernés, autant celui qui produit la violence que celui qui la reçoit. C’est un des rares postes où l’on peut exercer à partir d’une place non contrainte. »

Cette question n’est pas la seule préoccupation de l’ANISCG aujourd’hui. « Il ne s’agirait pas de se retrouver avec un colosse aux pieds d’argile. Nous avons besoin de peser pour nous assurer de la qualité des professionnels, de leurs conditions de travail », estime le chargé de mission. Une problématique là encore largement soulignée par l’IGA qui a dédié une importante partie de son rapport à la grande hétérogénéité des conditions d’exercice de la fonction. A commencer par les facteurs budgétaires. « La recherche de financements a été une course permanente », se remémore Isabelle Guion de Meritens. Une difficulté qui pourrait – en partie – être levée : suite aux recommandations de l’IGA, l’Etat a décidé de ne plus appliquer le principe de dégressivité en stabilisant, début 2023, sa participation au financement de chacun des postes d’intervenants sociaux à un minimum de 33 %. « Cela permet de dire aux autres subventionneurs [villes, départements, associations, ndlr] qu’ils ne seront pas seuls quoi qu’il arrive », se félicite Laurent Puech.

Un autre écueil tient aux problématiques liées à l’accueil disparate des intervenants. Bureaux partagés, manque de définitions des postes, difficile échange d’informations avec les gendarmes ou policiers, qui les considèrent parfois comme des intrus, contrats précaires, temps partiels… sont autant d’embûches auxquelles certains professionnels sont confrontés dès leur arrivée. Le rôle de l’ANISCG a depuis été renforcé, pour soutenir l’harmonisation du dispositif, en particulier au moment de l’accueil. Tout l’enjeu porte désormais pour l’association sur des questions « d’équilibrage et de renforcement ». Comment garantir, face à ce déploiement protéiforme, le même niveau de réponse sur tous les territoires ? L’année dernière, l’association a élaboré un kit d’accueil afin que l’arrivée dans les structures soit davantage réfléchie. « Certains postes avaient été créés rapidement sans être pensés auparavant. Il s’agissait de donner des repères, rappelle Laurent Puech. Désormais, avant qu’il ne commence à s’occuper de la moindre situation, nous voulons nous assurer que l’intervenant ait bien les moyens de travailler, que la relation entre l’employeur et la police ou la gendarmerie soit bien définie au préalable, dès l’entretien d’embauche. »

Des profils différents pour un métier complexe

Pour l’association, les professionnels doivent être solides et sécurisés dans leur pratique, afin de pérenniser leur emploi. Car jusqu’à présent, des profils très divers peuvent occuper ces postes. Si une majorité des ISCG détient un diplôme d’Etat d’assistant de service social, plus de 20 % d’entre eux sont titulaires d’un diplôme d’éducateur spécialisé, d’autres encore disposent d’une formation en psychologie, sont juristes ou conseillers en économie sociale et familiale. Autant de profils différents pour un métier complexe. Et, en toile de fond, la crainte de perdre la plus-value de cet accompagnement singulier. Une question capitale pour Laurent Puech : « Notre rôle est d’apporter un soutien technique, avec la possibilité de formations complémentaires. Nous incitons les employeurs à être attentifs à la qualification de ces professionnels. Déjà isolés, il ne faudrait pas les laisser se débrouiller seuls. » Autre sujet sensible, selon lui, les risques de dérives : « Ils surviennent en général lorsque les intervenants sociaux n’ont plus de repères et se rapprochent d’une logique quasiment policière. Souvent ce sont les moins qualifiés qui vont chercher une forme de reconnaissance dans le regard valorisé des policiers et des gendarmes. L’idée de départ était de juxtaposer dans un même lieu ces deux entités distinctes au service d’un public qui s’adresse à elles. Ces postes n’ont pas été pensés pour coopérer avec la police ou la gendarmerie, mais en complémentarité, pour être à la disposition de la population. » Un message important : d’après la police nationale, 55 % à 65 % des personnes suivies par un intervenant social en commissariat sont inconnues des services sociaux locaux.

Une reconnaissance nécessaire

Alors que les intervenants sociaux en commissariat mettent souvent en avant leur « isolement », Selim Zouitene, étudiant en master en psychologie sociale, s’est penché sur les indicateurs de « risques psycho-sociaux et de qualité de vie au travail » dans le cadre d’une thèse publiée en 2022. Pendant plusieurs jours, il a suivi neuf intervenants en Seine-Saint-Denis et à Paris. Premier constat : les bénéfices d’opérer en binôme avec un psychologue. Ce dernier représente « un facteur favorable à la qualité de vie au travail », là où son absence « est ressentie comme un manque ». Selim Zouitene souligne en outre l’importance du soutien hiérarchique : « Lorsque la hiérarchie valorise le poste, l’effet agirait en cascade sur l’ensemble du commissariat, ce qui permet une meilleure reconnaissance. » A signaler également, entre autres difficultés, les conflits de valeurs avec « la manière dont sont parfois prises en charge les victimes par les policiers ». Autre point : le manque de soutien tant technique que dans l’encadrement ou dans les moyens pour travailler.

Une meilleure collaboration avec les gendarmes

L’association La Voix de l’enfant porte un dispositif en articulation avec les services de police et de gendarmerie : les unités d’accueil pédiatriques enfants en danger (UAPED). Cette initiative, créée voilà 25 ans, permet de recueillir la parole de mineurs, à la suite d’un signalement ou d’une plainte, au sein des services pédiatriques des hôpitaux, appuyés par une équipe pluridisciplinaire formée. Mais si ces unités se déploient de plus en plus, la collaboration avec les policiers pèche. « En dehors de quelques exceptions, il n’y a aucune coopération avec eux », fustige Martine Brousse, présidente de l’association, qui voit une très grande majorité des activités des UAPED, entre 75 % et 85 % d’entre elles, s’exercer avec les gendarmes. Une dynamique plus importante du côté de la gendarmerie que reconnaît également Laurent Puech pour mettre en place les ISCG. Comment expliquer cette plus grande facilité à généraliser des initiatives en gendarmerie ? Difficile de savoir. Pour Isabelle Guion de Meritens, cela tient surtout à la capacité de l’institution à généraliser des initiatives : « Nous disposons d’outils spécifiques en gendarmerie pour encourager les propositions venant du terrain et les meilleures d’entre elles sont ensuite officialisées institutionnellement. »

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