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Fractures invisibles

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Charlie a 28 ans. Issu d’une histoire difficile, avec des passages en familles d’accueil, il essaie de toutes ses forces de ne pas reproduire les situations d’addiction et de violences qui ont émaillé son enfance. D’ailleurs, il a construit très rapidement une vie de famille avec enfants. Pour autant, il éprouve des difficultés à s’impliquer pleinement. C’est comme s’il avait dessiné en 3D son image de la famille idéale. De l’extérieur, c’est touchant. De l’intérieur, Charlie se renferme, se noie dans le travail et, parfois, ses sautes d’humeur l’obligent à aller cogner dans un sac de boxe après avoir avalé quelques comprimés et canettes de bière. De plus en plus souvent, il se met la tête à l’envers et ne parvient pas à assumer son rôle d’éducateur auprès de ses enfants.

Lorsque je passe au domicile, il ne se sent pas concerné et quitte la pièce : « Non mais moi, je fais pas confiance aux travailleurs sociaux. » Mais peu à peu, un lien fragile se construit. Parfois, je viens uniquement pour lui. Au début, on ne parlera que de ce qu’il veut. Il finira par me dire : « Heureusement que les travailleurs sociaux m’ont placé quand j’étais môme ! Je serais où, sinon, aujourd’hui ? » Alors, nous évoquons ses traumas d’enfance. D’entretien en entretien, il chemine sur l’idée d’une thérapie. On le sait bien, les psychotraumas non soignés ont la faculté de nous pourrir la vie. Il réfléchit. Il se demande s’il en vaut la peine.

Quelques semaines plus tard… C’est l’anniversaire de mon fils. Une fête est prévue et je suis chargée du gâteau. Dix minutes avant de débaucher, le téléphone sonne. Charlie est en pleurs au bout du fil : « Elle s’est tirée avec les gamins ! Et moi, je vais me foutre en l’air ! Je jure que je vais me foutre en l’air ! » Quand j’arrive, il est très alcoolisé et déprimé. Il finit par accepter une hospitalisation et m’affirme qu’il veut bien nettoyer ses traumatismes qui gangrènent son quotidien. Nous attendons deux heures que l’ambulance arrive. En rural, faut pas être pressé…

Il part, et j’ai plein d’espoir. Et puis aussi j’ai plein de culpabilité, parce qu’il est 21 heures et que je suis attendue. Je file et « braque » la première pâtisserie encore ouverte, arrache une pauvre religieuse au café à la vendeuse, avant de m’excuser platement auprès de mon fils, qui montre une compréhension sans faille.

J’apprends le lendemain que Charlie est sorti : « Vous comprenez, il était alcoolisé. On l’a laissé dessoûler et on l’a fait sortir. » Oui, mais des fois, on a besoin de se donner de la force pour aller demander de l’aide, et puis il y a des fractures invisibles plus graves que des hémorragies.

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