Il fait beau, il est en repos, c’est le jour idéal pour s’occuper du jardin. Des semaines qu’il regarde mornement l’herbe pousser, mais jamais le temps.
Il fait chaud et il a mal au dos, la tondeuse c’est long et monotone, il va plutôt s’occuper du muret qu’il a commencé à monter.
Il ne se sent pas bien, il faudrait qu’il s’arrête un peu, le temps de souffler, mais il a presque fini, plus que quelques pierres à poser. Stop ou encore ?
Il est étendu dans le jardin. Il est tombé d’un coup, sans même avoir eu le temps d’appeler. C’est le silence qui a alerté sa femme, il y a quelques minutes encore elle entendait le bruit régulier de la pioche, et puis plus rien. Stop ou encore ?
Il fait lourd, tout s’est assombri d’un coup, et elle est en ligne avec l’urgentiste. « Continuez les compressions thoraciques Madame, ne vous arrêtez surtout pas, le Samu est en route ! »
Elle a peur de mal faire, elle est épuisée et le cœur ne repart toujours pas. Stop ou encore ?
Il fait nuit et les nouvelles ne sont pas bonnes. « Votre mari a été en arrêt cardio-respiratoire et son cerveau a souffert d’anoxie. Pour le moment son état est stationnaire, on attend de voir comment se passe la nuit. Il y aura sans doute des séquelles. » Stop ou encore ?
Rien n’est plus comme avant. Son mari, hier si fort, si plein de vie, n’est plus que silence et inertie. Manger, boire, bouger, toutes ces choses pourtant simples prennent maintenant un temps infini. Elle le regarde manger son yaourt, il plonge la cuillère, hésite, la porte à sa bouche, l’éloigne, relève la tête, la regarde, baisse les yeux… Et elle, elle voudrait la prendre, cette fichue cuillère, la lui enfourner dans la bouche parce que ça doit bien faire vingt minutes qu’il est dessus, et qu’il refuse son aide. Alors elle lui demande, pour la douzième fois au moins : stop ou encore ?
Ils se relaient jour et nuit depuis des mois. L’épouse, le fils, la fille, la sœur, les voisins, les aides à domicile, le kiné, le cabinet infirmier… C’est un ballet incessant autour de lui, chorégraphie sans cesse renouvelée, un pas en avant un pas de deux et un pas en arrière. Stop ou encore ?
Ils ont fait des demandes d’admission un peu partout, trop jeune pour ici trop vieux pour là-bas, trop loin ou trop cher. En attendant, il faut continuer. Il mange, il boit, il marche un peu. De la chambre au salon et du salon au jardin.
« Est-ce une vie ? », demande son voisin. « C’est notre vie », lui répond-elle.
Il est assis au jardin, le soleil caresse sa peau et l’odeur des premières roses embaume l’air. Sur la pelouse fraîchement tondue, son petit-fils fait ses premiers pas. Il s’élance, fait un pas, puis deux, tombe, rit, se relève… Stop ou encore ? Rires et bravos pour le petit héros, lui n’applaudit pas, il ne peut pas. Sa main dans la main de sa femme, il regarde, sourit, savoure. Encore.