« JE PENSE QUE SI JE FAIS RECIT AUJOURD’HUI DE MES ENQUETES AUTOUR DES PAROLES DES MIGRANTS, et de ce qu’on fabrique aux frontières, c’est parce que ça nous dépasse et que c’est urgent », expliquait Marie Cosnay en 2021 sur France Culture. Son deuxième volume de Des îles témoigne des violences et des drames qui se déroulent aux portes de l’Europe. En l’occurrence sur l’île des Faisans et le fleuve Bidassoa, à la frontière franco-espagnole. Son livre commence avec l’histoire de Souleyman, rescapé d’un naufrage dans l’océan où de nombreux exilés ont trouvé la mort. « On cherche des gens, c’est devenu une habitude. Quand le corps est sorti de l’eau, on cherche un nom. Puis une famille. Plutôt que des histoires : des dates, des traces, n’importe lesquelles », écrit la militante pour l’accueil des migrants. Au fil des pages, les histoires de corps repêchés s’enchaînent. Des corps marqués par la clandestinité, comme celui de Yaya, originaire d’Abidjan. Commence alors une longue enquête, faite de malentendus et de coïncidences, pour retrouver leurs familles restées au pays ou un proche déjà installé en France. Organiser l’enterrement ou le rapatriement. Eviter la corruption très fréquente… Grâce à sa cousine vivant dans l’Hexagone, Souleyman, lui, voit sa demande d’asile jugée recevable, conformément aux accords de Dublin. Marie Cosnay accompagne les exilés dans leurs cauchemars administratifs, collectionne les actes de naissance, les papiers utiles ou pas… A travers ses mots, c’est l’absurdité de la politique d’immigration européenne, ce qu’elle fait aux individus, qu’elle décrit. Les morts hantent son texte. Les enfants aussi, souvent victimes de la traite ou orphelins quand leurs parents sont perdus en mer. Une association suisse, Service social international, qui s’occupe du rétablissement des liens familiaux, se paie sur le malheur : pour retrouver la parenté, elle établit un devis par enfant. L’escroquerie n’a pas de frontières. Entre enquête de terrain et récit documentaire.
« Des îles. Iles des Faisans 2021-2022 » – Marie Cosnay – Ed. de l’Ogre, 21 €.