Recevoir la newsletter

La bavette

Article réservé aux abonnés

Vendredi dernier, j’ai accompagné Samy, 14 ans, à l’atelier vélo solidaire du coin. C’est le lieu qui me permet d’ouvrir les jeunes à la bidouille, de créer du lien et surtout de partir à la rencontre de l’autre. Arrivés à proximité, je gare le Berlingo. Aussitôt le vélo sorti du coffre, Samy l’enfourche tel un « biker » et descend la petite rue en « cabrant » son vélo. Les gamins appellent ça « mettre sa bécane en i ». Je le vois arriver près du petit croisement, et je prends peur. Je l’interpelle en gueulant : « Oh ! Samy ! Freine ! Y a le croisement ! » J’aperçois le minot remettre tranquillement son vélo sur ses deux roues, poser le pied au sol, et m’attendre le sourire aux lèvres. En arrivant à sa hauteur, il me glisse fièrement : « T’inquiète…, je voulais faire frotter la bavette [garde-boue arrière] au sol ! ». Je fronce les sourcils : « Samy, juste, dans la rue, roule normalement quoi, c’est dangereux ! ».

En arrivant, on passe devant Maurice, un habitué du lieu. Maurice est un gars sympathique et un peu marginal. Il vient souvent avec son vélo multicolore, à la forme bizarroïde. Il est assis sur le perron de la porte d’entrée, une cannette de bière à la main et une fin de joint dans l’autre. Il nous salue, et nous en faisons de même. Samy s’approche de mon oreille : « Mais il fume du shit ? » Je lui réponds par l’affirmative, en haussant les épaules. Maurice fume du shit, oui, et il lui arrive d’être alcoolisé. Il trouve sa place dans cet endroit, et se fait souvent foutre dehors pour aller fumer son joint. Mais ça ne va pas plus loin.

L’atelier est noir de monde. Tous les pieds d’atelier vélo sont pris. Je perçois une certaine frustration émerger chez le gamin. Mais la magie du lieu, c’est qu’ici on arrive toujours à se débrouiller et à trouver un coin pour bricoler. Nous le trouvons dehors, devant l’entrée. Pendant que Samy et moi nous nous débattons avec le câble du dérailleur, Maurice, qui nous a vu de loin, est venu taper la causette. Samy lève une tête méfiante à son égard, et glisse avec un petit air malicieux : « Hé Maurice ! C’est bon la bibine ? » Le quinquagénaire lui sourit et réplique : « Ouaip, mais t’es trop jeune pour goûter. » Le gamin poursuit sur un ton moralisateur : « Chez nous, c’est haram, tu sais ? » Maurice se lève et dit fièrement : « Moi, la bière fait partie de ma religion… », puis finit par « bloquer » en regardant le vélo : « Mais vous foutez quoi avec le câble ! ! Vous faites de la merde là, les gars ! » Momo me met un coup d’épaule en me dégageant de mon poste. « C’est quoi ton nom bonhomme ? » « Samy », lui répond le gamin. « Bon Samy, quand j’te dis, tu serres cette vis, OK ? » Samy rétorque : « Tu sens l’alcool Maurice. » Maurice s’excuse et lui ordonne de serrer la vis. Le gamin s’exécute. Après quelques réglages supplémentaires, les vitesses du vélo passent convenablement. Je sens Samy un peu déstabilisé : « T’es un bon, Maurice ! » Samy lui tape dans la main, et part tester son vélo en allant frotter la bavette sur le bitume de la petite rue de l’atelier.

Carnet de liaison

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur