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Sur la piste des bonnes pratiques

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Selon l’Organisation mondiale de la santé, environ une personne âgée de plus de 60 ans sur six a été victime d’une forme de maltraitance dans son environnement familier au cours de l’année écoulée. A l’échelle internationale, les moyens de lutter contre ce phénomène diffèrent selon les pays. Et, en la matière, la France joue les lanternes rouges.

Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, a lancé, le 6 mars, les états généraux des maltraitances envers les « adultes vulnérables ». « Parce qu’il y a urgence », des concertations menées conjointement pendant cinq mois avec tous les acteurs concernés (associations, professionnels, services de justice…) nourriront une stratégie nationale présentée à l’automne 2023. Une prise de conscience « nécessaire », pour Alain Koskas. Selon le président de la Fiapa (Fédération internationale des associations de personnes âgées), en comparaison avec d’autres pays, la France fait figure de mauvaise élève. « Si nous commençons à nous doter de certains outils, les autres pays ont des pratiques bien plus avancées que les nôtres, affirme-t-il. Nous ne mettons pas suffisamment de moyens pour lutter efficacement contre les maltraitances. Alors même que le système actuel atteint ses limites. »

La problématique apparaît pour la première fois au détour d’un article scientifique, publié en 1973 par l’Américain Charles Stannard. Pour décrire ce qui serait considéré aujourd’hui comme étant de la maltraitance dans les établissements de soins de longue durée, l’auteur décrit un « sale travail auprès des vieillards ». « C’est en partant de cette expression, connotée et très négative, que les travaux de recherches se sont multipliés », affirme Marie Beaulieu, chercheuse au Centre de recherche sur le vieillissement du Québec. En 2002, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a élaboré une définition internationale de la maltraitance. Elle consiste en « un acte unique ou répété ou, en l’absence d’intervention appropriée, dans le cadre d’une relation censée être une relation de confiance, qui entraîne des blessures ou une détresse morale pour la personne âgée qui en est victime ». « Mais cette définition est régulièrement remise en question, critique Marie Beaulieu. Il existe en réalité une multitude de termes pour décrire ce phénomène » (voir page 10). Une imprécision qui peut favoriser les glissements et les dérives au détriment de réponses justes et de mesures préventives.

D’autant que la maltraitance n’est pas nécessairement le fait d’une personne sur une autre. Elle peut être systémique, organisationnelle, institutionnelle. Elle a lieu partout, à domicile, dans un centre d’hébergement, en centre de soins palliatifs, en Ehpad. Cette hétérogénéité engendre un pluralisme des réponses et des différences d’appréciation selon les pays. « En Italie, la lutte contre la maltraitance est engagée de longue date par la mutuelle Confartigianato, qui garantit les citoyens âgés et retraités et dispose d’un observatoire du troisième âge, renseigne Alain Koskas. Elle réalise de nombreuses campagnes de sensibilisation, dont une spécifique aux abus financiers. Elle a aussi créé, il y a quelques années, une plateforme téléphonique d’écoute pour toutes les personnes isolées. »

Professionnels et moyens financiers

A l’inverse de la Fédération 3977 et du réseau Alma (Allô Maltraitance) en France, le service italien – ainsi que ceux belge et québécois – est géré par des professionnels : psychologues et travailleurs sociaux ou médico-sociaux. « Ils ont pour objectif de sécuriser la personne, assure le président de la Fiapa. C’est-à-dire qu’en plus d’offrir une aide et des conseils utiles, en cas de signalement, l’écoutant oriente systématiquement la victime vers la police, les carabiniers ou un service de lutte contre la fraude financière. Les affaires sont traitées sur-le-champ avec une obligation de suivi d’action. ». Au Québec, les effets positifs de la professionnalisation, en 2010, de la ligne d’écoute sont prégnants. En plus de libérer la parole, les missions de la plateforme ont été structurées : l’offre de services spécialisés est plus étendue et un dispositif de formation continue obligatoire est mis en place pour tous les écoutants. Pour arriver à ses fins, le Québec se donne les moyens de ses ambitions. Quand, en France, le budget alloué à la Fédération 3977 et aux associations Alma (financées par l’Etat) s’élève à 1,8 million d’euros, le troisième plan quinquennal de lutte contre les maltraitances de cette province francophone est estimé à 50 millions de dollars canadiens, soit près de 35 millions d’euros.

En France comme à l’étranger, il est difficile d’évaluer la maltraitance, tant les données sont rares. Le dernier rapport de référence, fondé sur 52 études menées dans 28 pays et publié dans la revue The Lancet Global Health, date de 2017. Il indique qu’une personne âgée de plus de 60 ans sur six (15,7 %) a été victime d’une forme de maltraitance dans l’année écoulée, qu’elle soit psychologique (11,6 %), financière (6,8 %) ou qu’il s’agisse d’une négligence (4,2 %), d’abus physiques (2,6 %) ou sexuels (0,9 %). « Ce problème évolue massivement dans l’ombre, déplore Pierre Czernichow, président de la Fédération 3977. L’OMS estime que 95 % des situations de maltraitance ne font l’objet d’aucune alerte. Or, pour mener une réelle politique de prévention, il est nécessaire de quantifier ces violences. »

Présente lors des rencontres internationales du Réiactis (Réseau d’études international sur l’âge, la citoyenneté et l’intégration socio-économique), début mars à Strasbourg, Florence Bourgès, docteure en sociologie à l’université du Havre Normandie, donne une autre raison au retard français : « La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales place le département comme chef de file de l’action sociale, et donc de la lutte contre les maltraitances. Cela veut dire que, selon le lieu d’habitation, les réponses apportées à la personne maltraitée ne seront pas les mêmes. » A cette disparité s’ajoute parfois un manque de coordination entre les acteurs locaux. De ce point de vue, la France pourrait s’inspirer de la Belgique. « Il existe dans chacune des régions wallonnes des antennes qui s’assurent que la même méthodologie d’intervention est utilisée partout sur le territoire », estime la sociologue.

Par certains égards, la situation en Suisse ressemble à celle de la France. « La lutte contre la maltraitance envers les personnes âgées a commencé à se développer à la fin des années 1990 après différents scandales dans les établissements de long séjour, renseigne Delphine Roulet-Schwab, professeure au Laboratoire d’enseignement et de recherche « Vieillissement et santé », à Lausanne. Mais le sujet demeure tabou. A ce jour, les mesures spécifiques restent rares et sont portées essentiellement par les associations et les bénévoles. En raison de la composition du pays (26 cantons, tous très autonomes, et trois langues différentes), il est extrêmement difficile d’avoir une vision d’ensemble. Chacun agit dans son coin sans avoir conscience de ce que fait l’autre. In fine, la problématique de la maltraitance envers les personnes âgées est invisibilisée. »

Une approche plus empathique

Si, en France, ces dernières années, la maltraitance institutionnelle est sur toutes les lèvres, en Italie, en Espagne et en Suisse, le sujet est moindre. D’abord, parce qu’il y a moins d’établissements pour personnes âgées dans ces pays. Ensuite, parce que le ratio de professionnels est de 1 soignant par résident, contre un peu plus de 0,6 dans l’Hexagone. « En Belgique, sauf exception, on ne parle pas de maltraitance institutionnelle dans le champ du handicap car la question du recrutement n’est pas si importante qu’en France », explique Isabelle Resplendino, présidente de l’Association pour les Français en situation de handicap en Belgique. Plus nombreux, les professionnels sont aussi mieux formés, assure encore cette experte. « Ici, le niveau d’exigence est plus élevé, tout comme la qualité de l’enseignement dispensé. En France, les cursus sont très axés sur les soins médicaux, quand, en Belgique, ils sont tournés vers l’éducatif. L’accompagnement part des compétences de la personne plutôt que de ses déficiences. L’approche est plus humaine, plus empathique. Ce qui, au final, réduit la maltraitance. »

La Belgique compte également davantage de contrôles que la France. « Les structures françaises sont inspectées tous les quinze à vingt ans, alors qu’en Belgique l’Agence pour une vie de qualité (Aviq), qui agrée les établissements (handicap, aînés), a établi des règles strictes. Il existe un contrôle obligatoire tous les deux ans et demi, et d’autres sont menés à l’improviste sur simple réclamation, même anonyme. Lorsqu’un établissement dysfonctionne, il s’engage à améliorer sa situation, au risque de se voir retirer son agrément », précise Isabelle Respendino. Un référentiel qualité est mis à disposition des directions, avec une liste de critères à respecter : implication du résident, organisation du travail, politique d’accueil, place et qualité de vie au travail des professionnels…

C’est aussi le cas en Suisse. « Chaque canton est obligé de mettre en place une instance de surveillance des établissements médico-sociaux [EMS, l’équivalent des Ehpad en France], analyse Delphine Roulet-Schwab. Dans certains cantons, c’est un professionnel de santé publique qui discute avec les EMS. Dans d’autres, c’est une sorte de police sanitaire qui organise des contrôles aléatoires et inopinés tous les deux ans. Cela reste toutefois extrêmement insuffisant. » Car, comme l’explique Alain Koskas, « pour être réellement efficace, une politique de lutte contre les maltraitances envers les personnes vulnérables doit avant tout prendre en compte leur avis. Or c’est encore malheureusement trop peu souvent le cas. En France comme ailleurs. »

L’épuisement professionnel, un indicateur

Contrairement à l’Europe, en Amérique latine, des enquêtes de prévalence des maltraitances sont régulièrement menées. Au Mexique, la dernière en date indique par exemple que 17,3 % des personnes âgées ont été victimes d’actes de malveillance. Les mêmes données statistiques existent en Argentine, au Chili, au Costa Rica, en Colombie ou encore en Equateur. « Tous ces pays sont membres de la Convention interaméricaine sur la protection des droits fondamentaux des personnes âgées et ont tous mis en place un observatoire national des aînés », informe Alain Koskas, président de la Fiapa. Surtout, et c’est fondamental, tous ces pays lient systématiquement la prévalence de la maltraitance à la fatigue ou au burn-out des professionnels. Résultat : dans chaque pays, un service national de la personne âgée élabore un projet de prévention du syndrome de l’épuisement professionnel, à domicile comme en établissement.

L’ADMR mise sur la professionnalisation

Le 22 mars, le réseau national ADMR (Aide à domicile en milieu rural), acteur majeur du secteur en France, a publié un plaidoyer sur « les moyens de lutter efficacement contre la maltraitance ». Il demande que l’action soit collective. Un critère qui se heurte au fonctionnement actuel des services à domicile. Pour mieux contribuer au repérage, à la déclaration et au traitement d’événements maltraitants, l’ADMR formule trois priorités : l’organisation du processus d’alerte dans chaque territoire ; l’accompagnement et la professionnalisation du secteur ; l’information et la formation des acteurs.

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