Quelques semaines après la publication de l’enquête de Victor Castanet Les fossoyeurs dénonçant les maltraitances dans les Ehpad du groupe Orpea, le conseil départemental de l’Ain a mis en place un plan d’action en faveur de la bientraitance dans les établissements et services médico-sociaux (ESMS). Pilotée par Martine Tabouret, vice-présidente déléguée à la démographie médicale et à l’autonomie des personnes âgées et handicapées du département, cette initiative avait pour premier objectif d’évaluer la situation. « Toutes les maltraitances n’étaient pas signalées. Et même, en cas d’alerte, le département n’allait pas toujours vérifier si le problème était réglé, bien souvent en raison d’un manque de personnel », signale-t-elle.
Fort de ce constat, le département a créé un poste de « contrôle et accompagnement des ESMS ». Son rôle : inspecter toutes les structures qui relèvent de la compétence du département dans le champ “adultes vulnérables”. « Soit 67 Ehpad, une vingtaine de Saad [services d’aide et d’accompagnement à domicile], une quarantaine de structures du handicap adulte et une quarantaine de résidences autonomie. Ce qui représente près de 200 établissements sur l’ensemble du département », détaille Thibault Mainfroy, qui occupe le poste depuis septembre 2022.
Si des contrôles existaient avant son arrivée, il y en aura davantage et leur approche va changer. « Au-delà de l’inspection, la tâche est aussi d’accompagner les structures. Nous voulons faire davantage de prévention, en intervenant le plus possible en amont, à la moindre suspicion de maltraitance », souligne Kevin Pomathios, responsable du service des établissements personnes âgées-personnes handicapées au conseil départemental. De son côté, pour plus d’efficacité, le nouveau « contrôleur » a adopté la méthode dite du « faisceau d’indices » : « Elle consiste à recueillir le maximum de signalements et réclamations du terrain. Grâce à ces informations, je suis à même de hiérarchiser les priorités et de mieux déterminer quand inspecter tel ou tel établissement et mieux traiter et suivre les actions mises en place. »
Depuis sa prise de poste, Thibault Mainfroy a visité deux Ehpad. « Sur place, je vérifie que l’organisation du travail répond à la réglementation et aux recommandations de bonnes pratiques ; qu’un collectif de travail défini, organisé et formalisé existe bien ; que l’accueil des résidents est correctement réalisé ; que les projets personnalisés sont bien mis en œuvre ; que la promotion de la bientraitance fait bien l’objet d’une politique globale de formations et de réunions dédiées… », détaille-t-il. A l’issue du contrôle, le fonctionnaire remet un rapport au président du département. En cas de dysfonctionnements, l’établissement devra mettre en place des mesures correctives, dans un délai imparti.
En parallèle, Thibault Mainfroy a lancé, au début de l’année, un dispositif de recueil des signalements. Pour ce faire, une adresse mail spécifique a été créée, une campagne d’information a été mise en place, des entretiens individuels ont été menés… « Nous avons constaté qu’en réalité les professionnels ne connaissaient pas, ou très peu, le mode de signalement des maltraitances, rapporte Kevin Pomathios. Le nouveau dispositif a permis de libérer la parole. » Résultat, les signalements ont fait un bond : 36 ont été recensés en janvier et février 2023 (dont 13 pour les seuls Ehpad), contre 14 sur la même période en 2022, soit une augmentation de 157 %.
« Au-delà des chiffres, il est intéressant de regarder le type de maltraitance, expose Martine Tabouret. Il peut s’agir d’une erreur dans la posologie des médicaments, de violences entre résidents, d’une agression d’un professionnel par un résident ou encore d’une chute liée à une défaillance d’équipement. Les raisons étant diverses, les réponses apportées devront différer. » Par ailleurs, deux signalements pour faits de maltraitance ont été adressés à l’agence régionale de santé. Portés par des professionnels sur courrier libre, ils ont fait l’objet d’enquêtes auprès des établissements concernés. Ce qui a donné lieu à la mise en place d’un plan d’accompagnement et de suivi des actions engagées à trois, six et douze mois entre le département et la direction. Le département a également reçu deux réclamations d’usagers. Sans porter spécifiquement sur des faits de maltraitance, elles ont donné lieu à un échange sur les bonnes pratiques avec les structures concernées. Le département leur a demandé de réaliser, dans les mois à venir, une campagne d’information et de sensibilisation à l’intention des usagers et du grand public.
Dernière idée phare du plan de lutte départemental : le projet de création d’un dispositif d’inter-CVS (conseils de la vie sociale) de territoire pour les Ehpad, afin de permettre aux familles et aux résidents de comparer ce qui est mis en place dans les établissements. « La discussion et le partage de bonnes pratiques sont une manière simple et efficace de faire remonter des signalements. Plus on en parle, plus les langues se délient, estime Martine Tabouret. Ces temps d’échanges ont un réel rôle de prévention. »