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Comment aider les personnes qui ne le souhaitent pas

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Crédit photo Marta NASCIMENTO
Comment travailler auprès d’une personne qui ne souhaite pas être aidée ? Comment créer de la confiance et un contexte où le bénéficiaire est « acteur de sa vie » ? Ces questions ont été abordées dans le cadre d’une formation dispensée les 3 et 4 avril par Guy Hardy, assistant de service social et formateur, en collaboration avec les éditions érès. Alors que de plus en plus de personnes sont accompagnées « sous influence, sous injonction ou sous contrainte », ce dernier propose de réfléchir à des « changements profonds » dans les approches professionnelles.

Actualités sociales hebdomadaires - À quelles réalités les situations d’aide sous contrainte renvoient-elles ?

Guy Hardy : 98 % des enfants aidés par la protection de l’enfance le sont sous contrainte. Même chose pour les familles, elles n’ont pas choisi de rencontrer des travailleurs sociaux. Ils sont venus chez elles, sur la base d’une information préoccupante, après l’évaluation d’une assistante sociale. Les aidants se présentent en faisant comme s’il n’y avait pas de contrainte, et les familles comprennent qu’elles n’ont pas d’autre choix que d’accepter. Elles doivent vouloir l’aide qu’on veut qu’elles veuillent, pour un problème qu’on dit qu’elles ont, et que parfois elles dénient avoir. Leur seule chance de s’en sortir, c’est d’entrer dans ce jeu. Les familles qui nieront avoir des difficultés seront considérées comme des résistantes. On est dans un paradoxe fou et posant, selon moi, un problème démocratique. Ces journées de formation permettront de nommer le problème dans lequel le travail social est en train de s’épuiser.

Comment en est-on arrivé là ?

Si vous avez besoin de bénéficier du RSA, vous vous retrouvez face à une assistante sociale qui va vous demander de raconter votre parcours de vie et déterminer ce qui sera bon pour vous en termes de stage à effecuer ou de prise en charge… C’est la victoire du néo-libéralisme : faire croire que toutes les difficultés sont individuelles. Deux choses à penser : ce qui tient de l’individuel et ce qui tient du collectif, mais on se focalise sur une seule. Pour 88 % des familles suivies en Belgique, le premier problème, c’est le mal-logement, ce sont des enfants qui vivent dans des chambres d’hôtel. Et nous les invitons à travailler sur leurs histoires personnelles… On en est là. Toujours en Belgique, au moment de la campagne contre les violences sur les enfants, le message n’était pas : « Il faut renforcer les crèches, l’éducation nationale… », mais : « Il y existe un numéro de téléphone pour signaler anonymement les cas de maltraitance. »

Quelles difficultés spécifiques les informations préoccupantes posent-elles ?

J’ai travaillé dans un conseil départemental où, en un an, ont été reçues 4 900 informations préoccupantes. Autant dire qu’il était impossible de gérer quoi que ce soit. Ne faudrait-il pas plutôt réfléchir aux méthodes aboutissant à ne signaler que ce qui est vraiment préoccupant ? Des enfants sont gravement maltraités. Le drame, c’est qu’ils soient noyés dans la pile des signalements. J’observe en outre que les cas de familles ayant été évaluées et vivant dans un terrible stress augmentent. Un certain nombre de parents n’osent plus éduquer leurs enfants et davantage de gamins se retrouvent dans la toute-puissance. Je pense néanmoins qu’ils sont dans la toute-impuissance de trouver des adultes fiables. Quel­qu’un qui, quand il dit non, c’est non. Et quand ces enfants sont placés, les éducateurs se retrouvent dans la même position. On parlait avant de jeunes « incasables » de 14 ou 15 ans, on nous parle maintenant d’enfants « incasables » de 7 ou 8 ans.

Les signalements sont-ils toujours utiles ?

Dans certains cas, ils sont nécessaires, mais des travailleurs sociaux signalent également une information préoccupante avant tout pour se protéger. Si jamais on apprend à l’école qu’un enfant est frappé par sa mère, et que l’éducateur était au courant, ce dernier risque le blâme. Or peut-être avait-il pesé le pour et le contre, et décidé de travailler sur la situation, en lien avec la mère. Avec l’émission d’une information préoccupante, la relation peut être rompue. L’acte est vidé de son sens parce qu’il est presque devenu une obligation depuis la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance. Auparavant, le signalement émergeait à l’issue d’un processus éthique : « Est-ce que je signale, ou pas, en prenant en compte le bien-être de l’enfant ? » Désormais, le danger ne doit même plus être avéré, il suffit qu’il y ait un « risque ». Or éduquer sans risque relève de l’impossible. L’Association nationale des assistants de service social (Anas) avait proposé, au moment de la rédaction de cette loi, l’obligation pour les travailleurs sociaux d’activer une information préoccupante si, et seulement si, l’intérêt supérieur de l’enfant est en jeu. Une marge de manœuvre aurait ainsi été laissée au professionnel pour réfléchir.

Qu’induit cette situation en termes de postures ?

La difficulté actuelle réside dans la création d’alternatives. Nombreuses sont les personnes voulant revenir à ce qu’il existait avant, quand on était dans la philosophie de l’aide. Face aux personnes en souffrance dans les familles, nous étions tellement aidants que personne n’osait faire de signalement. En Belgique, les signalements étaient très rares, et on assistait à des catastrophes. Le modèle que j’ai connu consistait d’abord à créer la relation avec les personnes, pour que cette relation crée la demande, cette dernière justifiant l’aide. Mais dans une situation d’enfant en danger, il faut savoir dire : « Stop, ça ne va pas, et voilà les motifs pour lesquels votre enfant est en danger » … Il y a une nécessité à ce que les professionnels réinventent d’autres méthodologies pour travailler sur ces situations. Dans une injonction sous contrainte, on ne peut plus avoir un professionnel qui arrive dans une famille en disant : « Quelle est votre demande ? », sinon la famille doit faire semblant d’en avoir une.

Comment, dans ce contexte, aider les personnes qui ne souhaitent pas l’être ?

Pour être aidé par quelqu’un, il faut lui faire confiance. Iriez-vous parler à une personne qui risque de faire un rapport au conseil départemental ou au juge ? Les services et les lieux où les familles pourraient se rendre et s’adresser aux professionnels devraient être plus nombreux. C’est le principe des maisons vertes de Françoise Dolto, pour lutter contre le burn-out parental. Ce sont des structures dans lesquelles on peut entrer et parler sans crainte, sans se sentir menacé. Dans toutes ces situations, les contraintes sont contre-productives. Mais lorsque les parents font face à de lourdes problématiques, vivant dans des conditions très difficiles, les travailleurs sociaux doivent pouvoir agir. Je ne parle plus alors d’« aide » mais d’« intervention », parce qu’il faut demander une aide pour parler d’aide.

Quels changements envisager dans les pratiques professionnelles ?

En tant que professionnels, nous partageons souvent la conviction que pour aider quelqu’un à évoluer, il faut avant tout comprendre les causes du problème. En ayant cette attitude, on ne crée chez les parents que de la culpabilité. Le passé reste le passé, on ne peut pas le modifier. S’intéresser au futur serait un vrai changement de méthodologie. Si une mère vient nous voir en nous disant : « Hier, j’ai attaché mon gamin qui est autiste, parce que je n’en pouvais plus », nous devons considérer sa démarche comme une volonté de changement. Lorsqu’on demande aux parents s’ils estiment nécessaire de revenir sur des faits passés, ils répondent souvent : « Non, on l’a déjà raconté cent fois. » Je n’ai pas besoin de ces informations-là pour épauler un père ou une mère. Moins je fais de l’intrusion psychique chez les parents, plus je deviens une personne de confiance. J’ai vu un médecin travailler avec une enfant victime de violences, pour qu’elle puisse décider de ce qu’elle allait faire de sa parole. Selon moi, l’important est de respecter l’autre en tant que sujet. Parce qu’à partir du moment où la jeune fille parle, elle devient l’objet d’un système de protection dans lequel de nombreux intervenants vont décider de ce qui est bon pour elle. J’observe le même type de gestion avec les femmes victimes de violences conjugales. Mais quand permet-on aux personnes d’être sujets à nouveau ? Certains professionnels s’habituent ou trouvent des justifications à des pratiques qui vont à rebours de nos principes de base, quand d’autres sont en burn-out. Il faut des lois qui inscrivent la notion d’intérêt supérieur de la personne comme valeur fondamentale dans la prise de décision.

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