Des jours et des semaines que je suis là, traînant mon ennui et ma dépression entre activités thérapeutiques, entretiens psychotrucs et antidépresseurs. De temps en temps, je m’égaye d’une nouvelle molécule ou d’une sortie dans le parc, avant de me replonger mollement dans un fauteuil de la salle commune, coincée entre la chaîne info et les soliloques des patients.
Mais aujourd’hui, il y a de l’aventure dans l’air. Joël est venu me trouver, il a une surprise pour moi, un truc qui va me plaire, il en est sûr !
« Tu prends des chaussures qui ne craignent rien, j’espère que t’es pas trouillarde, parce que tu vas voir… », me dit-il avec malice.
Moi ? Trouillarde ? Que nenni ! Enfin si, un peu, mais j’ai ma fierté.
La surprise, c’est un grand bâtiment désaffecté depuis des années. Tout au fond du parc, il trône, auréolé du mystère de tant de vies passées entre ses murs.
« J’y suis déjà venu », me confie Joël en poussant doucement une porte dissimulée dans un renfoncement. C’était il y a quelques années, pour il ne sait plus quelle cure d’addicto.
« En principe, il faut un passe pour entrer, mais quelqu’un a sans doute oublié de refermer à clé… Suis-moi, je vais te faire la visite, mais sois discrète, la sécurité passe de temps en temps. »
La lumière entre à flots par les grandes fenêtres aux carreaux crasseux, le sol est constellé de déjections d’oiseaux, ça pue et ça colle.
Je me fige. Au-dessus, je viens d’entendre très distinctement des pas. « C’est rien, juste des pigeons, il y en a des dizaines ! », s’amuse mon compagnon d’exploration.
Les pièces ont été vidées, il ne reste que des vieilleries hors d’usage. Lits démontés, armoires cassées, rideaux déchirés. « A cette époque, il y avait encore des rideaux. Maintenant c’est interdit, les patients pourraient se pendre avec, risque zéro tu comprends », me souffle Joël.
On traverse une salle de pause, quelques plannings défraîchis traînent encore. Dans une chambre vide, un poster de l’avant-dernière Coupe du monde de foot.
« Fais gaffe où tu marches ! ». Nous zigzaguons entre des cadavres d’oiseaux. Depuis combien de temps sont-ils ici ?
« Les pigeons entrent par les fenêtres cassées du troisième étage. Ceux qui restent en haut peuvent ressortir, mais ceux qui s’aventurent à descendre se retrouvent prisonniers au rez-de-chaussée. Ils se perdent ici et finissent par y mourir. Allégorie de l’hôpital », ajoute tristement Joël.
Nous vadrouillons en silence pendant quelques minutes, il reprend :
« Moi, ça fait trop longtemps que je suis là. J’ai visité toutes les pièces de tous les services, et maintenant je suis coincé là, tout en bas, avec ceux qui ne sortiront plus. Mais toi, Florine… »
Il se tait. J’ai compris le message.
Nous sortons. Dehors, l’air redevient respirable. Dans les branches du grand saule centenaire, sur les toits et au milieu des pelouses, des oiseaux qui vont et volent, qui passent et repartent. Vivants et libres.