C’est comme un vieux trésor surgi tout à coup du fond de nos mémoires. Dans le grand ménage de bientôt printemps, en équilibre instable sur une planche branlante, le carton poussiéreux auquel plus personne ne prêtait attention a été malencontreusement renversé par Marine, la stagiaire éducatrice. Le colis encombrant, déplacé çà et là au gré de nos ateliers, est aujourd’hui posé en évidence sur la table de notre petite salle de pause. Nos mains plongent dans la boîte à trésors et en sortent des dizaines de photos aux couleurs passées, vestiges d’une époque pas si lointaine. Maintenant, on prend tous des milliers de photos avec nos téléphones, on les partage avec quelques-uns, puis on les oublie quelque part dans une carte mémoire.
Mais aujourd’hui, l’heure est au déballage, les rires fusent tandis qu’un relent de nostalgie s’empare de l’équipe.
« Oooh ! tu te souviens de lui ? Selim, le petit rigolo qui se cachait n’importe où ! Il nous en a fait voir, celui-là, toujours à disparaître dans tous les coins ! Qu’est-ce qu’il est devenu ? »
« Je l’ai croisé le mois dernier au skatepark avec son petit dernier. C’est un grand gaillard maintenant, marié, trois enfants, méconnaissable ! »
« Et là, regarde, ce ne serait pas Rose ? Elle venait d’arriver, non ? C’était la sortie au Jardin des plantes, elle avait passé presque une heure à s’extasier devant un massif de fleurs ! C’est ce jour-là qu’elle a décidé de devenir fleuriste, elle ne parlait plus que de ça ! »
Nos mots s’évanouissent dans un douloureux silence. Marine nous interroge du regard, mais personne n’a envie de raconter… Rose, c’est notre blessure, une plaie qui brûle encore. Baladée à droite et à gauche, entre espoirs et désillusions, elle a fini par rencontrer un type qui lui a promis monts et merveilles… avant de la mettre sur le trottoir.
Saïd tire une nouvelle photo…
« Oh ! mais ce ne serait pas Nadia, là ? Qu’est-ce qu’elle était gaffeuse, cette collègue ! Vous vous souvenez du jour où elle a mis le feu à la cuisine en oubliant une casserole sur la plaque avant de partir en pause ? Et la fois où elle est tombée du pédalo ? Ah ça, elle a tiré jusqu’au bout, elle. Elle ne voulait pas entendre parler de la retraite ! »
De photo en photo, mille et une histoires, des enfants devenus grands, parents à leur tour, des collègues devenus vieux.
Les tasses sont finies, la cafetière vide. On range soigneusement les photos dans le carton et on repart ranger le précieux trésor en salle d’activités. On le retrouvera un jour, au détour d’un tri de placard ou d’un grand ménage d’automne. D’ici là, nous l’aurons rempli d’autres souvenirs, d’autres enfants seront partis et d’autres collègues seront arrivés. Un vieux carton comme témoin de nos histoires partagées, comme une petite boîte à musique qui chantonne avec entêtement dans la chambre d’un enfant devenu grand.