Ce début de semaine, à ma grande surprise, je croise Eric, qui sort tout juste de prison. Il avait été pris, il y a un an, en flagrant délit dans une des tours de la cité, avec suffisamment de produits stupéfiants dans les poches pour prendre « du ferme ». Je me souviens bien de lui parce que c’est un des premiers jeunes que j’ai rencontrés à mon arrivée dans ce secteur. On se croisait régulièrement, on se serrait la main, pas beaucoup plus. Mais en prév’, quand tu t’implantes dans un quartier, c’est déjà beaucoup. Ça a duré plusieurs mois. Alors, quand à sa sortie de prison il vient me demander un soutien dans sa recherche d’une formation, j’ai confirmation, s’il en était encore besoin, que dans ce métier le temps est un précieux outil.
Nous nous donnons rendez-vous au quartier pour nous rendre à la mission locale. Mais le jour dit, Eric n’est pas là. Alors j’attends. L’heure tourne et je persiste, dans le froid polaire de l’hiver. Trente minutes, une heure. Je tourne la tête à droite et à gauche, je scrute un peu les alentours. Mais personne ne vient. Et impossible de le contacter, il n’a pas de téléphone.
Alors, doit-on attendre coûte que coûte, à n’en plus finir, quand un jeune ne vient pas au rendez-vous ? La question reste ouverte. En tout cas, j’ai la sensation, ce jour-là, que c’est moi qui suis en demande. Je finis par partir, n’ayant pas envie de laisser pour trace une plaque commémorative de type « ici, un éducateur a attendu longtemps, très longtemps, trop longtemps ». Je n’aurai pas de nouvelles d’Eric avant plusieurs jours.
Une semaine passe. Durant un temps de travail de rue, j’aperçois un petit groupe du côté des commerces du quartier. Comme je passe à proximité, et que je reconnais un des jeunes, j’en profite pour serrer la main de chacun. Et là, je tombe sur Eric, capuche sur la tête, et lunettes de soleil, un peu en retrait : il me salue furtivement. Au vu de son attitude, et devant ses potes, je préfère ne pas aborder le sujet du rendez-vous manqué.
Par nos regards croisés, dans le travail d’équipe, je comprendrai ensuite les esquives répétées d’Eric. Le jeune est en fait perdu. La prison l’a profondément marqué, et entamé psychiquement. Si la justice lui demande de rendre des comptes sur la question de l’insertion, sa santé mentale et son désir de vivre en ont pris un coup. Lors de l’accompagnement d’un de ses amis pour un service civique, il viendra se « greffer ». Mais la greffe ne prendra pas, malgré ses efforts pour s’intégrer, et être présent aux rendez-vous.
Le désir, quand il est propre à soi, peut faire soulever des montagnes, sauf quand il est enfoui sous une tonne de soucis. Dans cet accompagnement, c’est avec mon collègue qu’Eric accrochera le mieux. Accepter cela, de ma place, c’est renvoyer à Eric que le désir commence par là. Je suis présent, s’il en a besoin. Mais s’il se sent mieux pour avancer avec mon collègue, nous le prenons en compte. Tout en questionnant de notre côté la place que nous prenons.