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Quand les travailleurs sociaux s’en mêlent

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Saluée par le milieu associatif à sa publication, une instruction de 2018 visant à résorber les bidonvilles a fait avancer la prise en charge des populations vivant dans ces habitats précaires en incitant à mettre en place une stratégie territoriale et en renforçant l’accompagnement social. Cinq ans plus tard, des territoires affichent des avancées notables, quand d’autres peinent encore à s’en saisir.

Près de 18 % en quatre ans. La baisse du nombre de ressortissants de l’Union européenne vivant en bidonvilles en France métropolitaine n’est pas fracassante. Cinq ans après l’instruction du 25 janvier 2018 « visant à donner une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et des bidonvilles », environ 11 300 personnes (contre 13 720 en janvier 2019) vivent toujours dans 250 campements, bidonvilles ou grands squats au 1er janvier 2023, selon les chiffres de la plateforme numérique Résorption-bidonvilles, développée par une start-up d’Etat (voir encadré page 8).

L’objectif de la manœuvre était d’établir un diagnostic social le plus tôt possible avant une expulsion, afin de trouver des solutions d’accompagnement vers l’insertion, en agissant sur l’emploi, la santé, la scolarisation et le logement. « Cette instruction est le fruit de deux ans de travail partenarial. Une grande partie de ce qu’ont avancé les associations a été retenue, notamment la prise en compte des personnes et leurs aspirations, avec une méthode qui mêle tous les acteurs : la préfecture, les collectivités, les associations. Nous avons adhéré à ce cadre, et le soutenons encore dans nos plaidoyers. Il nous paraît important pour avancer », explique Anthony Ikni, délégué général du Collectif national droits de l’Homme (CNDH) Romeurope.

Car des progrès, il y en a eu ces dernières années, appuyés par des collectivités volontaristes et par la Dihal (délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement), chargée du suivi de cette politique. Cette dernière a vu son enveloppe pour le soutien aux actions locales passer de 3 à 8 millions d’euros annuels. Sur la vingtaine de départements concernés dans l’Hexagone par la présence de grands squats ou de bidonvilles, deux tiers ont désormais des schémas locaux, indique Manuel Demougeot, directeur de la mission « résorption des bidonvilles » à la Dihal. « Ces schémas ont des degrés divers, allant d’un protocole Etat-ville léger à la feuille de route très détaillée, voire à la stratégie “zéro bidonville” à Montpellier », précise-t-il.

Un programme de médiation scolaire a vu le jour en 2020, avec la création de 40 postes de médiateurs scolaires, entraînant l’augmentation du nombre d’enfants scolarisés vivant en squats et bidonvilles. Avec des effets bénéfiques sur le long cours : « Quand la scolarisation peut être stable, les parents deviennent aussi parents d’élèves, ce qui les insère dans la communauté éducative et les valorise en tant que citoyens », souligne Anthony Ikni. Il note une progression sur la médiation en santé, avec des financements spécifiques issus notamment de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et du Ségur de la santé, mais surtout un développement conséquent de l’accès à l’eau potable. « En 2017, sur l’ensemble des bidonvilles, 77 % ne disposaient pas d’eau, souligne-t-il. Beaucoup de changements sont intervenus depuis, avec la publication d’une directive européenne. L’organisation non gouvernementale Solidarités International travaille au niveau local pour inciter les communes et les distributeurs d’eau à installer des rampes d’accès. Cette question est devenue politiquement importante pour sécuriser les conditions de vie des personnes. Cela permet aussi à ces habitants de retrouver de la dignité, pour se préparer à un entretien d’embauche, pour laver les vêtements des enfants qui vont à l’école, etc. »

La situation bouge aussi dans plusieurs grandes métropoles. C’est le cas de Marseille, qui prend en compte la scolarisation des enfants, en évitant autant que possible les expulsions des lieux de vie sur la durée de l’année scolaire. Ainsi qu’à Lyon, où la dynamique de prise en charge des bidonvilles a décollé depuis le Covid-19. « Nous sommes passés de quelques associations bénévoles éparpillées, qui n’étaient ni considérées ni financées par les pouvoirs publics, à beaucoup de travailleurs sociaux salariés de différentes institutions et d’associations intervenant dans les bidonvilles. On peut dire que c’est devenu un réel objet de travail social et de politique publique », note Marion Pécout, chargée de mission à l’Alpil, association dédiée à l’accès aux droits liés à l’habitat. Financée par la Dihal depuis 2020, l’Alpil assure un rôle de coordination en animant le réseau « Habitat précaire », qui s’articule autour d’une réunion mensuelle des acteurs impliqués. Notamment, des services de la métropole, des chargés de mission des centres communaux d’action sociale (CCAS) de Lyon et de Villeurbanne, de la Croix-Rouge, des hôpitaux et des médiateurs scolaires et emploi portés par l’association Alynea.

Un objet de travail social

« Quand nous avons connaissance de la création d’un nouveau site, nous nous assurons de la couverture du territoire par les bons intervenants pour que l’accès aux droits sociaux se fasse au mieux : on vérifie que les médiateurs scolaires s’y déplacent, on envoie Médecins du monde quand il y a des problématiques de santé, poursuit Marion Pécout. La protection maternelle et infantile (PMI) vient avec nous sur le site quand on alerte sur la présence de femmes enceintes et d’enfants. Avant, nous avions du mal à les faire venir. » Quelque 260 ménages ont été rencontrés dans le cadre des missions de maraude ou à la permanence de l’Alpil afin de rechercher un accès à l’hébergement ou au logement, avant d’être orientés vers les CCAS pour leur domiciliation. « L’important a été de convaincre les bailleurs sociaux de s’engager dans cette démarche, pour permettre les insertions au fil de l’eau », ajoute la chargée de mission.

Reste que, à Lyon, le contexte rend plus aisée l’application de l’instruction, estime Marion Pécout. « Ici, les publics en bidonvilles sont d’origine européenne, et représentent donc les publics cibles de l’instruction. Il apparaît aussi moins de tensions qu’à Paris sur les demandes au SIAO [service intégré d’accueil et d’orientation] ou celles de logement social. » Un travail a été effectué par le milieu associatif lyonnais pour que ces publics soient pris en compte dans les dispositifs de droit commun, et non par des dispositifs spéciaux tels que les villages d’insertion. « On dit souvent qu’il s’agit d’un public très spécifique et qu’il faut donc inventer des réponses particulières, avec des besoins de vie en communauté. Il existe beaucoup de clichés, et nous avons apporté un discours inverse : ces personnes sont beaucoup plus hétéroclites qu’on ne l’imagine, il faut donc travailler à des réponses individuelles. » L’approche a porté ses fruits et, désormais, les services sociaux reçoivent ces publics comme les autres. « Il y a encore beaucoup de préjugés et d’incompréhension sur ce qu’est l’anti-tsiganisme. Nous avons des actions de formation des fonctionnaires et des travailleurs sociaux, pour sortir des biais culturalistes, confirme Manuel Demougeot. Le principe à respecter est celui du droit commun. Malgré tous les moyens mis en œuvre, des résistances persistent. On doit encore réexpliquer les choses et dire que les expulsions ne résolvent pas tout. »

Politique à deux vitesses

Dans certaines villes, des retours en arrière ont été observés par l’Observatoire des expulsions collectives des lieux de vie informels(1). Lequel pointe dans son rapport annuel 2020-2021 l’exemple de Montpellier où, deux mois après l’arrivée du nouveau préfet, 250 personnes ont été expulsées, mettant à mal « un travail important d’accompagnement social global, pourtant financé en grande partie par les pouvoirs publics ». A Lille, la situation s’est également tendue depuis 2021, avec des « dizaines d’expulsions sans solutions », indique Dominique Plancke, du collectif Solidarités Roms de Lille Métropole. Pour le CNDH Romeurope, ces régressions sont le signe de la faiblesse de l’instruction. Alors que la Dihal a récemment relancé les travaux de la commission nationale de résorption des bidonvilles, le collectif appelle à l’élaboration d’un texte de loi « plus contraignant ». « Il faudrait des comités de résorption dans toutes les villes concernées, avec des moyens pour renforcer cette politique à l’échelle nationale », souligne Anthony Ikni.

« Certes, l’instruction n’a pas de caractère normatif, mais une loi ne résout pas tout. Les objectifs de la loi de 2000 sur les aires d’accueil ne sont, par exemple, toujours pas atteints », rappelle de son côté Manuel Demougeot, avant de continuer : « Nous réfléchissons à une consolidation du cadre actuel, qui pourrait se traduire par un appui accru aux territoires, avec une équipe renforcée, que cela passe par la Dihal ou par des opérateurs partenaires de l’Etat. Nous allons estimer quelle forme et quel vecteur il faut donner à cette nouvelle étape. »

Au-delà de son caractère non contraignant, le « point noir » de cette politique, selon Marion Pécout, reste la différenciation entre les populations européennes et les autres : « Tous les publics sont aussi vulnérables. Au local, on travaille avec tout le monde, mais il faut que les politiques publiques fassent pareil. » Même son de cloche du côté d’Anthony Ikni, pour qui « on ne peut pas avoir une politique publique à deux vitesses », voire des catégories administratives différentes, en mettant de côté les populations originaires de Syrie ou d’Afghanistan. Un blocage qui intervient à un niveau « opérationnel », estime Manuel Demougeot. « On vise plutôt les populations intra-européennes, du fait de leur statut. Elles ont la liberté de circulation comme n’importe quel citoyen européen. Alors que les demandeurs d’asile comme les réfugiés relèvent du ministère de l’Intérieur. Les solutions ne sont pas les mêmes. On ne va pas traiter Calais comme Strasbourg. Je comprends que l’on puisse vouloir penser une approche plus large, mais nous développons une politique de moyen et long terme que nous devons encore consolider. »

Avec une présence de populations majoritairement non européennes, les bidonvilles et grands squats des territoires du Calaisis (Calais, Coquelles, Marck, Sangatte) et du Dunkerquois (Dunkerque, Grande-Synthe, Loon-Plage) comptabilisent à eux seuls 85 % des 2 078 expulsions recensées par l’Observatoire des expulsions pour l’ensemble du territoire hexagonal sur l’année 2021-2022. Pointant une « véritable stratégie de harcèlement des personnes vivant dans des lieux de vie informels », l’observatoire souligne dans son dernier rapport que dans la plupart des cas, les expulsions sont peu anticipées par le biais d’un diagnostic social et aboutissent souvent à une remise à la rue.

Une plateforme pour cartographier les bidonvilles

Développée depuis 2019 par une start-up d’Etat et portée par la Dihal, la plateforme Résorption-bidonvilles met une carto­graphie des campements à disposition des acteurs concernés par cette politique à l’échelle d’un territoire. Ces derniers sont invités à partager les données pour l’emplacement des campements, le nombre de personnes qui y vivent, leurs origines et leurs conditions de vie. « L’idée est de mieux connaître les situations, de mieux agir et de partager l’information, en partant du principe que nous sommes sur une problématique multisectorielle. Un enjeu de coopération se pose vraiment à ces acteurs qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble, estime Manuel Demougeot. La start-up d’Etat permet une souplesse de développement pour réagir aux demandes des utilisateurs. Nous allons arriver à un outil stabilisé à la fin de l’année. »

Notes

(1) L’Observatoire des expulsions réunit plusieurs associations, parmi lesquelles l’Auberge des migrants, l’ANGVC, le CNDH Romeurope, la Fondation Abbé-Pierre, la Fnasat et Médecins du monde.

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