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« La parole des personnes est peu prise en compte »

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Chercheur en sciences politiques et consultant sur des missions d’évaluation des politiques publiques, Louis Bourgois estime que, malgré les différences de statuts entre populations intra et extra-européennes vivant en habitat précaire, un socle commun d’accès aux droits doit être envisagé.
Dans quel contexte l’instruction de 2018 sur la résorption des bidonvilles a-t-elle vu le jour ?

Les premières circulaires sur ce que l’on appelait alors des « campements illicites » datent de 2010, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, et étaient principalement axées sur le volet sécuritaire. Elles ont été remplacées par une circulaire de 2012, après l’élection de François Hollande, qui a mis en avant les situations des personnes en instaurant la réalisation de diagnostics sociaux pour envisager des suivis en termes d’accès à l’emploi, aux soins, à la scolarisation, et en identifiant tous les acteurs concernés. Progressivement, cette circulaire a commencé à porter ses fruits sur les territoires, accompagnée des financements de la Dihal [délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement]. L’année 2014 a aussi marqué la fin des mesures transitoires qui limitaient, voire interdisaient le marché du travail aux travailleurs roumains et bulgares. Dans ce contexte, à partir de 2016, la Dihal a souhaité donner une nouvelle impulsion par le biais de groupes de travail (collectivités, associations, chercheurs, services de l’Etat). Le texte qui en résulte – publié en 2018 – utilise pour la première fois depuis les années 1960 le terme de « bidonville » : nous sommes davantage sur l’idée de situations sociales difficiles que sous l’angle de l’illégalité ou de l’occupation.

Quelle est la valeur de ce texte ?

L’instruction vient compléter la circulaire de 2012, en ayant la même valeur juridique qu’une circulaire, à savoir très limitée, Cette politique repose sur des textes non contraignants. L’instruction incite néanmoins à mettre en place des stratégies territoriales de résorption des bidonvilles et à arrêter une gestion site par site, pour avoir une cohérence globale sur le tout le territoire.

Quel regard portez-vous sur la politique de résorption et son bilan ?

Pour les publics qui étaient implicitement ciblés au départ, c’est-à-dire les ressortissants européens, nous pouvons noter une baisse du nombre de personnes qui vivent en squats et en bidonvilles. Une partie d’entre elles ont accédé à un hébergement ou un logement. A Lyon, par exemple, entre 2014 et 2021, les chiffres ont baissé de plus de moitié. La question étant : qu’entend-on vraiment par « bidonville » ou « squat » ? Ces termes s’appliquent souvent pour les populations européennes mais moins pour les autres publics migrants (Afrique subsaharienne, Afghanistan…). Or plusieurs associations et institutions, dont la Fondation Abbé-Pierre, défendent une conception plus large, supposant une réponse publique qui concerne l’ensemble des populations vivant en habitat précaire. Car, malgré les différences de statuts, un socle de réponses communes peut être envisagé en termes d’accès aux droits fondamentaux. Il s’agit d’une question de cohérence de la politique publique. Par ailleurs, cette instruction s’inscrit dans un ensemble étendu de politiques publiques, dont le plan quinquennal « Logement d’abord » et la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Il s’agit de savoir dans quelle mesure ces stratégies répondent vraiment aux situations de toutes les personnes vivant en habitat précaire, sans cibler uniquement certaines populations au détriment d’autres.

Où en est la participation des populations ?

Dans les dispositifs que j’ai pu observer, cet enjeu reste fort : la parole des personnes est peu prise en compte et leur autonomie décisionnelle est très limitée. Cela s’inscrit dans une problématique globale au sein des politiques AHI (accueil, hébergement, insertion) et des dispositifs d’accès au logement, avec un fort déséquilibre entre l’offre et la demande de logements. Même dans la politique du « Logement d’abord », de nombreuses personnes n’ont pas réellement le choix. On aboutit rapidement au discours : « Prenez ce logement, il n’y en aura pas d’autre. » Cette problématique me semble cependant encore plus présente dans les dispositifs ciblant les personnes vivant en squat ou en bidonville. Les règles en vigueur dans les établissements médico-sociaux – telle l’obligation d’avoir un conseil de la vie sociale visant à associer les usagers au fonctionnement de la structure – ne s’appliquent que très peu dans les « villages d’insertion »[1]. Beaucoup de dispositifs ont un fonctionnement un peu dérogatoire au droit commun, avec des règles qui ne sont pas toujours en cohésion avec le cadre classique du travail social.

Notes

(1) Sites d’hébergement temporaires souvent composés de bungalows, où les familles sont accompagnées vers le logement et l’emploi.

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