Elle a dit non. Un non franc, un non affirmé, un non répété. Non, non et non. Non, elle ne fera pas cette sortie. Non, elle ne veut pas, elle n’a pas envie, elle ne le sent pas. Elle préfère rester là, dans sa chambre, au calme. « Loin de tout, et surtout de vous tous ! », ajoute-t-elle avec un air de défi. Et moi, j’ai insisté, un peu. J’ai négocié, beaucoup. J’ai essayé, en vain.
« C’est juste une balade au marché, c’est à côté tu sais ». Non.
« On fait un tour et on revient, c’est histoire de prendre l’air, ça te ferait du bien. » Non.
« On pourra même s’acheter un goûter sympa pour cet aprèm. » Non.
De guerre lasse, j’ai abandonné.
Je suis parti au marché avec un petit groupe, on a fait un tour pas très rapide, arpenté les allées colorées et acheté des viennoiseries. C’était bien. Quand je suis revenu la voir, elle n’avait pas bougé. Assise en tailleur sur son lit, casque sur les oreilles et volets fermés, le message était clair : elle ne veut ni nous voir ni nous entendre.
« Tu veux que je revienne plus tard ? » Non.
« Tu veux que je reste ? » Non.
« Tu veux qu’on parle ? » Non.
Un non timide, un non chuchoté, un non du bout des lèvres. Non, non et non. J’ai hésité, un peu. J’ai pris mon air de vieil éducateur aguerri qui écoute, qui rassure, qui sait y faire parce que l’expérience…
« Tu ne participes plus aux activités, tu t’isoles, tu ne parles à personne. On veut bien t’écouter mais pour ça il faut que tu nous parles. On ne sait plus comment faire. On est là pour toi, tu le sais, et on aimerait comprendre. On veut juste t’aider… »
Non.
« Tu penses que j’ai tort ? » Non.
« Tu ne veux pas de notre aide ? » Non.
« Alors quoi ? Non, ça veut dire quoi pour toi ? »
Elle explose.
« Non, tu ne m’écoutes pas ! Non, tu ne me comprends pas ! Non, tu ne m’aides pas ! Non, non et non ! Tu me parles avec tes grands mots, tes grandes idées et tes grandes phrases… mais tu parles dans le vent ! Tous tes beaux discours, c’est pour toi que tu les dis, pas pour moi. Parce que quand je te parle, tu m’écoutes pas. Quand je t’explique, tu comprends pas. Et quand tu me tends la main, c’est pour aller dans ton sens, jamais dans le mien ! Je te dis non, et tu insistes. Je te dis que je ne veux pas, et tu essaies quand même. Tu es comme tous les autres. »
Alors j’y ai repensé. Toutes ces fois où j’ai insisté, négocié, essayé… Toutes ces fois où je ne l’ai pas écoutée. Toutes ces fois où je lui ai parlé des limites alors que je ne respectais pas les siennes. Parce que moi, l’éducateur forcément bienveillant. Parce que moi, l’adulte responsable. Parce que nous, le cadre, l’institution, l’éducation. Parce qu’elle, l’adolescente qui a dit non une fois, deux fois, tant de fois… et que personne n’a entendue.