L’accès à l’emploi des allocataires de minima sociaux et autres populations vulnérables est une problématique relativement neuve, qui est allée de pair avec le développement des politiques de l’emploi. Cherchant des solutions au chômage de masse, les pouvoirs publics en ont fait un mot d’ordre de l’action sociale au cours des années 1980, 1990 et surtout 2000.
La pluralité des dimensions prises en compte, à l’origine, dans la notion d’insertion a progressivement été resserrée sur l’accès et le retour à l’emploi. Sans doute est-ce lié à l’émergence d’un doute sur le sens d’une prestation (le « RMI ») qui avait pris, au fil des ans, une place importante dans la société. La réforme du revenu de solidarité active (RSA) a traduit cette focalisation, allant dans le sens d’une responsabilisation accrue des personnes.
Il faut veiller à ne pas faire de généralités! Les travailleurs sociaux ont, pour certains, endossé ce rôle et développé des compétences. Néanmoins, l’accès à l’emploi n’est pas au cœur de la culture professionnelle du travail social. Les métiers d’éducateur spécialisé ou d’assistante sociale sont très focalisés sur la relation singulière qui est établie avec les personnes, la dimension éducative de leur accompagnement. Les professionnels peuvent adopter une posture de protection des personnes accompagnées vis-à-vis du monde extérieur, car c’est ainsi qu’ils ont le sentiment de bien remplir leur rôle: ils ne souhaitent pas exposer les personnes à des démarches qu’ils perçoivent, à tort ou à raison, comme étant inutilement douloureuses. Cette question du retour à l’emploi peut sembler déconnectée des réalités vécues, des urgences, des difficultés de santé, de l’isolement relationnel. L’insistance à orienter l’accompagnement dans cette (unique) direction pouvant alors être vue comme une violence vis-à-vis des usagers et des professionnels eux-mêmes. Cela explique la critique vis-à-vis des sanctions et des projets visant à les durcir. La logique de la protection des personnes peut aussi jouer contre la mise en œuvre de normes inclusives, liées à la participation au marché du travail ordinaire, comme Fanny Jaffrès l’a montré dans sa thèse consacrée au travail protégé.
Un des éléments majeurs est la difficulté des institutions à travailler ensemble et à diriger les formations qualifiantes vers les publics (les « leurs ») qui en ont le plus besoin.
Les questions administratives et le partage des compétences entre les régions d’un côté (économie et formation professionnelle), et les départements de l’autre (social, handicap, vieillesse), jouent sans aucun doute un rôle important.
De manière plus générale, l’écart entre le monde économique et l’insertion, qui est moins pallié par le recours aux contrats aidés que par le passé, constitue un impensé car c’est le « point de sortie » de l’accompagnement qui n’est pas interrogé. En outre, les politiques publiques d’insertion n’ont pas été accompagnées de plans de formation pour les travailleurs sociaux. L’accès et le retour à l’emploi donnent lieu à des formes de spécialisation et de segmentation professionnelle dans le travail social, ils ne sont pas des enjeux transversaux. L’accompagnement vers l’accès et le retour à l’emploi, qui est très valorisé, n’a pourtant jamais fait l’objet d’un investissement qui permette de concrétiser un droit de portée universelle ou, à tout le moins généralisé, à l’accompagnement. La priorité politique annoncée sur cette question peut paraître incantatoire au vu de l’écart entre la proportion d’allocataires de prestations sociales effectivement accompagnés [seul un tiers des bénéficiaires a déclaré avoir eu un accompagnement à visée professionnelle ou sociale au cours de l’année 2018, ndlr] et les attentes institutionnelles et, plus largement, sociales placées sur cet aspect des politiques de solidarité.