Le secteur manque de bras. Au deuxième trimestre 2021, seuls 12 % des jeunes bacheliers avaient choisi le médico-social. Dans les écoles d’infirmiers, 4 % choisissent la gériatrie. Quant aux titulaires du diplôme d’État d’assistant de service social, 13 % d’entre eux seulement se voient en Ehpad et en soins palliatifs(1). Le poids des aînés et les salaires non attractifs contribuent à ce désamour. Dans un rapport de 2014, la Cour des comptes préconisait de baisser les effectifs dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière, avec “le non-remplacement d’un départ à la retraite sur trois”, afin de “modérer l’évolution de la masse salariale publique”, soit 23 % de la dépense publique totale. Ce rapport ne tenait pas compte de la décroissance démographique, la pointe de l’iceberg s’étant dévoilée quand la majorité des baby-boomers a atteint l’âge de la retraite.
Le petit coup de main de l’Etat
A défaut d’adopter la loi “générations solidaires”, en septembre 2021, l’État a octroyé une aide de 3 000 € par contrat d’apprentissage aux hôpitaux et aux Ehpad. Toutes les régions offrent des bourses aux étudiants du médico-social dont le niveau de ressources familiales ou personnelles est insuffisant. Simplement, étudier dans la fonction publique hospitalière attire très peu de candidats. En 2019, pour les formations de trois ans, 5 % des apprentis choisissaient le médico-social, soit environ 800 entrées contre 5 000 dans la fonction publique d’État et 8 500 dans le versant territorial(2).
Il existe peu de recherches sur la désaffection dans les métiers du médico-social. Parfois, des infirmières annoncées ne se présentent pas. Il arrive qu’on soit obligés de fermer des lits en fin de semaine par manque de personnel soignant. Sur les 764 260 infirmiers recensés en France au 1er janvier 2021, 64,8 % exerçaient en milieu hospitalier. 33,5 % quittaient les soins au cours des deux premières années sans abandonner la profession – c’est cependant un catalyseur pour le faire(3). La profession rencontre une double difficulté: le recrutement et la fidélisation.
Même constat chez les assistants de service social (AS). Aucun texte n’oblige les Ehpad à employer les AS dont la mission est de faciliter l’insertion sociale d’individus vivant des difficultés en vue d’améliorer leurs conditions de vie sur le plan social, économique ou culturel. Ils interviennent au-delà de la simple circulation des patients entre institutions et hôpitaux. Les témoignages sont significatifs: “J’interviens sur quatre Ehpad exclusivement. Mes missions: aider les familles et futurs résidents à constituer le dossier d’admission, les informer sur les aides existantes, la procédure d’admission, faire visiter la structure, écouter et rassurer (car c’est un cap à passer, surtout lorsqu’il s’agit d’une sortie d’hôpital sans retour à domicile!). Et les premiers temps, j’essaie de voir (quand c’est possible) comment la personne s’adapte, son ressenti, etc.; au cours du séjour, j’interviens généralement pour des questions administratives: il y a toujours un papier qui manque, ou une question sur un courrier, etc.”
La place de l’assistant social
Malheureusement, ça ne se passe pas toujours ainsi: “Par rapport à l’équipe soignante, ce n’est pas évident de se faire connaître quand on est sur une structure une fois par semaine, il faut expliquer son rôle et se ’montrer’ au maximum pour être repérée. J’assiste aux transmissions de la mi-journée, pour suivre l’évolution des résidents et apporter parfois certaines informations.” En Ehpad, la place de l’assistant de service social ne semble pas enviable: “On nous place d’abord dans une logique administrative et l’équipe ne pense pas toujours à nous lorsqu’il s’agit d’un problème lié à la vie quotidienne, à l’adaptation du résident à son nouveau lieu de vie, ou à nous solliciter pour co-monter des actions collectives, etc. Cette collaboration serait intéressante à mettre en place”(4).
Le métier d’assistant de service social n’attire plus les jeunes. Une enquête de la Drees de décembre 2017 indique qu’en 2016, 7 800 étudiants étaient inscrits en formation DEASS, effectif qui a baissé de 7 % en dix ans. Durant la même période, le nombre de diplômés a reculé de 19 %, “passant de 2 500 – son maximum – à 2 000”. La baisse la plus significative concerne les candidats à la formation, une baisse de 47 % en dix ans: 16 500 personnes aux épreuves d’admission en première année en 2006, plus que 11 000 en 2011 et 8 700 en 2016(5). Depuis 2019, Parcoursup propose des admissions dans les établissements de formation sans attirer plus de candidats. Selon la Drees, cette évolution “pose la question de l’attractivité de la profession”. Et ce, même pour “l’un des métiers emblématiques du travail social, aux effectifs les plus élevés de ce secteur”.
Pourquoi une telle désaffection ?
A l’Association nationale des assistants de service social (Anas), on évoque une formation exigeante, éprouvante, dense, qui “demande un engagement qui ne laisse pas la possibilité d’exercer un emploi à temps partiel”; d’autres soulignent “les conditions matérielles durant les études d’assistant de service social, tandis que le niveau des bourses d’études n’est pas adapté et ne permet pas de répondre à la précarisation des étudiants”. C’est la formation professionnelle par excellence, avec, depuis la réforme du 23 août 2018, une période de formation pratique de 1 820 heures, soit 52 semaines, portant le total à 13 mois pour trois ans d’études.
Les étudiants au DEASS se plaignent des difficultés dans la recherche des stages et leur non-rémunération. S’ils reconnaissent qu’un diplômé qui effectue un stage durant sa formation a déjà un plus sur le marché de l’emploi, ils dénoncent néanmoins, entre autres, l’écart d’équité dans les expériences de stage. Au cœur de ce problème se trouve, pour eux, l’obligation d’accepter des stages non rémunérés alors même que la loi est claire sur le sujet: “Les stages ne relevant ni du 2° de l’article L. 4153-1 du code du travail ni de la formation professionnelle tout au long de la vie telle que définie par le code du travail font l’objet entre le stagiaire, l’organisme d’accueil (entreprise, association, etc.) et l’établissement d’enseignement d’une convention tripartie et doivent être intégrés à un cursus pédagogique scolaire ou universitaire. Lorsque leur durée au sein d’une même entreprise (ou d’un autre organisme d’accueil) est supérieure à deux mois consécutifs ou, au cours d’une même année scolaire ou universitaire, à deux mois consécutifs ou non, le ou les stages font l’objet d’une gratification versée mensuellement.”
La loi est une chose, les pratiques en sont une autre. Pour la cuvée 2018-2022 des assistants de service social, seulement 22 % des apprenants ont obtenu un stage rémunéré; 53 % ont dû accepter de saucissonner leurs stages en deux ou trois tranches pour éviter l’écueil de la rémunération; 43 % ont accepté d’effectuer leur stage sur plus d’un site; 54 % des stages ont été obtenus via des réseaux personnels… Il n’est pas surprenant que les jeunes voient là “des connexions parentales et des copinages qu’il faut abolir surtout dans le social”.
Des étudiants issus de milieux défavorisés vont jusqu’à demander au législateur de se prononcer en introduisant à l’Assemblée nationale des projets de loi interdisant les stages non rémunérés et fournissant des subventions en contrepartie aux employeurs qui offrent des stages rémunérés aux étudiants et même des stages pour adultes non étudiants.
L’État semble répondre au souci des étudiants, mais encore faudrait-il que les structures d’accueil s’engagent à n’offrir que des stages rémunérés. Stage et formation trouveraient ainsi une solution. Pour les directeurs d’Ehpad, le problème n’est pas l’offre des stages, mais le recrutement et la fidélisation, cette dernière passant par une revalorisation des salaires. Monique Pelletier, dans le journal Le Monde du 9 avril 2020, écrivait: “Les ’vieux’ resteront-ils encore longtemps les mal-aimés de notre société? Il est grand temps d’agir! […] Mais qui les voit, qui leur parle? Qu’ont-ils à dire? Ils se sentent fragiles et, pour nombre d’entre eux, coupables de vivre si vieux. Cela n’est pas admissible.”
Pour aller plus loin :
(1) Enquête menée dans trois écoles de formation d’infirmiers et assistants de service social dans les Hauts-de-France, du 27 septembre 2020 au 28 mars 2021 auprès d’étudiants de 2e et 3e années.
(2) Rapport « grand âge et autonomie », plan de mobilisation nationale en faveur de l’attractivité des métiers du grand âge, 2020-2024.
(3) Infirmier: « Chiffres clés » – Staffsanté (staffsante.fr).
(4) V.-S. Fouda et R. Cremer – « Entrée en institution: la santé sociale un concept utile à la construction de la cinquième branche de la sécurité sociale? » – Revue canadienne sur le vieillissement, 2021..
(5) Drees – « 7 800 étudiants en formation d’assistant de service social en 2016 » – Etudes &résultats, décembre 2017, n° 1044.