Vous les croiserez sur les marchés, dans les commerces de détail ou courant dans les rues pour livrer un colis ou de la nourriture : des adolescents ou des garçons d’à peine 10 ans contraints au travail, soit pour se nourrir eux-mêmes, soit pour aider leur famille à survivre. Depuis le déclenchement de la crise financière de 2019, aggravée par la pandémie de Covid et les explosions qui ont ravagé le port de Beyrouth en 2021, le Liban n’en finit plus de sombrer. Une crise qui a de graves conséquences sur la santé et l’éducation des enfants. Selon un rapport publié par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) en 2022, 84 % des ménages libanais n’ont plus de quoi couvrir leurs dépenses quotidiennes et 23 % des enfants se couchent le ventre vide. Le travail de ces derniers est devenu l’une des principales préoccupations de la population, consciente d’assister au sacrifice d’une génération entière. « Des enfants d’à peine 6 ans travaillent maintenant dans des fermes, dans la rue et vendent illégalement du carburant [dont la vente a explosé au marché noir, ndlr], ce qui les expose à de graves brûlures et même à la mort », constate l’Unicef. Pour circonscrire le phénomène, les travailleurs sociaux du pays disposent de moyens dérisoires. Les caisses de l’Etat sont vides, et le système bancaire libanais, au bord de l’effondrement, interdit à ses propres clients l’accès aux comptes bancaires.
« Le Syndicat des travailleurs sociaux a demandé au gouvernement de nommer des travailleurs sociaux dans toutes les écoles du Liban. Mais le ministère de l’Education a déclaré qu’il n’avait pas un budget suffisant », explique Hiba Abdine, travailleuse sociale, dans un entretien accordé à l’agence de presse chinoise Xinhua. Les professionnels du secteur et les organisations non gouvernementales (ONG) mobilisées contre le travail des enfants aimeraient également une meilleure coordination des ministères de la Justice, de l’Economie et du Travail pour surveiller et punir les employeurs qui profitent de cette main-d’œuvre quasi gratuite. En l’absence de réaction des pouvoirs publics en pleine déliquescence, la société civile ne peut compter que sur les ONG et la charité. L’Unicef a ainsi dû revoir à la baisse un programme lancé à la mi-2021 pour soutenir les ménages avec enfants, permettant à 130 000 d’entre eux de toucher une aide financière, scolaire et alimentaire. Ils ne seraient plus que 80 000 à en bénéficier, rapporte l’agence onusienne, faute de financements.
A cette situation dramatique s’en ajoute une autre, celle des 900 000 réfugiés syriens officiellement recensés, sans compter les quelque 500 000 autres présents de manière informelle. Une surcharge qui représente maintenant plus de 20 % de la population totale du pays, soit un vivier quasiment inépuisable de misère pour des employeurs peu scrupuleux. « De nombreux enfants libanais et presque tous les enfants réfugiés syriens n’ont pas reçu d’éducation digne de ce nom, et le gouvernement a fermé les écoles en raison de la pandémie de Covid-19 sans garantir l’accès à l’enseignement à distance », relève Human Rights Watch dans son dernier rapport.
Incapable d’intégrer ces réfugiés dans le tissu économique – seuls 20 % d’entre eux bénéficient du statut de résident légal –, le gouvernement libanais mène au contraire des politiques répressives pour les contraindre à quitter le pays. Et il n’a toujours pas abrogé la loi autorisant les châtiments corporels pour les mineurs (ils ont été interdits dans les écoles en 2014), une punition particulièrement redoutée par les « enfants réfugiés syriens s’ils se plaignent » de leur sort, explique encore Human Rights Watch.