La meilleure manière de valoriser les actions de la prév’ n’est-elle pas de faire avec les autres, comme le suggère Anne-Marie Fauvet, présidente du CNLAPS (Comité national de liaison des acteurs de la prévention spécialisée) ? En d’autres termes, de coopérer, notamment avec les médiateurs et les animateurs. Le partenariat figure dans l’ADN des éducateurs, et constitue l’un des cinq fondamentaux de la prév’. Mais ses services coopèrent-ils efficacement avec les autres acteurs des politiques publiques ? Partagent-ils des objectifs communs et la volonté de travailler de concert, dans un jeu partenarial mature et vertueux ? Du constat que les coopérations socio-éducatives étaient nécessaires mais difficiles à obtenir, le CNLAPS a mené, de 2020 à 2021, une recherche-action sur le sujet. Avec la ferme intention de traduire dans les pratiques ce qui, sur le papier, ressemble à un mot-valise.
« Coopérer, ce n’est pas juste une intention. Il faut partager des valeurs et des buts communs, mais aussi créer des interactions entre acteurs, explique Anne-Marie Fauvet. Cela demande un savoir-faire spécifique à des échelles macro – avec les élus, au niveau des politiques publiques –, mezzo – avec les responsables de service au niveau des territoires – et micro – avec les professionnels de terrain, au niveau des habitants. » Se joue alors un travail de clarification des rôles. « La prév’ ne se réduit pas aux éducateurs. C’est toute une équipe qui décline une politique publique au sein d’un territoire et avec différents partenaires. »
Plusieurs partenaires ont participé à la recherche, dont l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). A l’époque, Michel Didier, qui préside aujourd’hui le comité d’histoire de la ville, était conseiller auprès du directeur : « Notre souci était de renforcer la prévention spécialisée et de mieux articuler le travail avec les médiateurs et animateurs. Les éducateurs, de par leur mandat territorial, savent mobiliser les ressources du territoire au service des jeunes. Mais la coopération avec les animateurs et les médiateurs est dépendante de différents donneurs d’ordre. Lesquels ont tendance à travailler de manière cloisonnée : la ville finance les animateurs ; le département, les éducateurs ; et l’Etat, avec le concours de la ville, les médiateurs. Tous travaillent sur le même territoire, mais avec des missions distinctes que les donneurs d’ordre ne différencient pas toujours. Il s’agit donc de faire valoir ses spécificités tout en travaillant avec les autres. Et c’est pour cette raison que la coopération, même si elle progresse, est difficile. »
Ancien membre du Haut Conseil du travail social après avoir été éducateur, Michel Didier a un pied dans la prév’, un autre dans la politique de la ville. Selon lui, « il ne faut pas opposer les deux approches mais bien les croiser, et faire en sorte que toutes les politiques publiques s’investissent sur le territoire. On a besoin de cette forte coopération entre tous les acteurs. »
Sur le terrain, s’entendre sur des buts communs, première condition d’une coopération, n’est pas un préalable toujours acquis. « Est-elle souhaitable ? Je ne sais pas. On n’a pas les mêmes finalités d’action », objecte Kadder Righi. Le directeur de l’ACP, qui a refusé de recruter des médiateurs dans le cadre des « Bataillons de la prévention », ne conteste pas leur travail mais constate l’absence de dialogue. « Les collègues les croisaient sur le terrain. Jusqu’à ce qu’ils partent sans qu’on comprenne bien pourquoi. »
Michel Didier entend les réticences, mais n’en fait pas une généralité, considérant qu’une reconnaissance mutuelle s’est installée avec le temps. « La coopération a pu être difficile lorsque le métier de médiateur est apparu dans les années 2000. Aujourd’hui, il s’est professionnalisé jusqu’à bénéficier d’une norme Afnor. La coopération se joue désormais sur un terrain d’égalité. » La recherche – consultable sur le site du CNLAPS(1) – a permis de formuler six recommandations. Outre la nécessité de partager un diagnostic de l’état des partenariats et de définir un cadre formel minimal à la coopération, il est proposé de désigner un facilitateur de l’action, avec la capacité d’articuler les différents échelons, du département au quartier.