Lucas est un jeune homme d’une trentaine d’années, célibataire. Il est allocataire du RSA (revenu de solidarité active). Fragilisé par un vécu particulièrement lourd, il peut se montrer déprimé et passif, englué dans ses doutes et une piètre estime de soi. Mais tout cela ne se voit pas toujours, parce qu’il peut aussi essayer de dissimuler ses failles derrière un sourire avenant, et des plaisanteries, histoire de faire diversion. Ce pourrait être le candidat idéal pour ces fameuses heures de travail obligatoires. Sauf que Lucas ne parvient pas à aller au bout de ses multiples projets. Il projette, ça oui, sans problème, mais ensuite, il met tout en échec, peut-être parce que le côté familier de l’échec est rassurant, c’est la seule chose qu’il connaisse.
Je lui propose de participer à une intervention sociale d’intérêt collectif (Isic). Six hommes ayant une estime de soi faible se réunissent tous les quinze jours au sein d’un groupe de parole. Lucas accepte, d’abord pour tromper l’ennui, parce qu’il lui arrive de passer des semaines entières sans voir personne. Médiations artistiques, photolangage, jeux de rôle, randonnées… les supports et les techniques d’animation Isic s’enchaînent, amenant Lucas à s’ouvrir, écouter les autres, participer à l’entraide mutuelle. L’estime de soi remonte en flèche. Il ne se sent plus si seul. Son vécu ressemble aussi à celui des autres. Il se trouve une identité, une appartenance. Il reprend confiance en lui. Il décide d’entamer une formation et se promet d’aller jusqu’au bout cette fois. D’espoir en découragement, d’incertitudes en persévérance, Lucas atteindra son objectif, réduisant peu à peu la distance qui l’éloigne du marché de l’emploi. Et tout cela dans le respect de son rythme personnel, la bienveillance et la dignité.
Pendant que Lucas me parle avec entrain de ses nouveaux projets, je me dis qu’imaginer que tout ira mieux en mettant les gens au travail coûte que coûte, c’est faire un grossier raccourci sans tenir compte de la psychologie humaine. C’est violent. Or les personnes en situation de précarité ont besoin de délicatesse.
C’est dingue ce penchant irrésistible à dépenser « un pognon de dingue » dans de prestigieux cabinets de conseil, pour accoucher de procédures toutes plus sclérosantes les unes que les autres. Ce n’est pas comme si les assistants sociaux étaient formés à la réflexivité et avaient pour mission de partager leur expertise de terrain. Ni comme si notre liberté d’action et d’initiative représentait une plus-value… Mais bon, je dis ça, je dis rien.