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Le coup de l’extincteur

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Il fait froid ce lundi-là, et dehors, les surfaces sur lesquelles poser un fessier sans se geler sont rares. Je me pose donc debout contre un mur, quand j’aperçois Abdou, qui fait un détour pour venir dire bonjour.

Notre amorce à tous les deux, c’est souvent le football : « T’as vu le match d’hier ? » S’ensuit généralement un échange plus ou moins long sur nos analyses respectives. Mais, ce jour-là, Abdou traîne un silence. Je sens qu’il a quelque chose à lâcher. Je regarde l’heure : 11 heures. Je m’aventure donc à lui demander s’il a cours aujourd’hui. « Je me suis fait virer du lycée… », me livre-t-il, gêné. Je marque ma surprise. Il poursuit : « Non mais, en vrai, Thomas, c’est pour une connerie, en plus ! Je passe en conseil de discipline jeudi. Je me suis déjà fait exclure trois jours le mois dernier. Là, c’est vraiment chaud pour moi ! »

Abdou me regarde et semble attendre une relance. Du regard, je l’incite à développer. Il se frotte le nez, les yeux, les joues, et toutes les parties de son visage, comme s’il se donnait du courage, et reprend : « Je suis trop con ! En fait, j’étais avec les autres, on traînait dans les couloirs du lycée, on avait une heure de perm. Et là, il y a Mike, il me chauffe. Il me dit que je suis pas capable de prendre l’extincteur. Moi, l’extincteur, je le prends, y a rien ! Puis il me chauffe encore. Il me dit : “20 €, si tu vas à l’étage des collégiens avec et tu les fais flipper !” » Petit silence, il se met à rire. Toujours sans un mot, je l’incite des yeux à poursuivre encore. « Après, le gars, il me chauffe, tu sais comment c’est Thomas ! On arrive à l’étage des collégiens, et puis là, Mike me pousse de toutes ses forces dans la porte d’une salle de classe. Donc je débarque avec un extincteur en plein cours de maths. Tout le monde s’est mis à crier, le prof aussi, moi aussi, c’était le bordel. Mais je l’ai pas utilisé l’extincteur, tu vois ! C’est une circonstance atténuante, ça, non ? Thomas, qu’est-ce que t’en penses ? C’est une circonstance atténuante ? ».

Bon, j’avoue qu’il m’a fait rire. Mais je me suis rapidement mordu la joue pour reprendre sérieusement : « Et toi, qu’est-ce que tu en penses, de tout cela ? » Abdou réfléchit un instant : « Franchement, je sais que c’est un peu grave quand même. Mais c’est les autres aussi, c’est pas entièrement de ma faute. C’était le bordel… Je vais me faire virer, c’est sûr. »

Cette discussion a été l’occasion d’aborder longuement la question de la responsabilité individuelle au sein du groupe. Comment elle peut se faire oublier, dans des moments d’euphorie collective. Pourquoi aussi n’a-t-il pas su s’écarter de la provocation de ses copains ? Abdou m’a demandé de l’accompagner à son conseil de discipline. Je l’ai accompagné, bien sûr. Et il s’est fait exclure, bien sûr. Tout mon travail a ensuite consisté à l’extraire du sentiment d’injustice qui l’habitait. Pour qu’il se reconstruise en sujet responsable, en dépit des trébuchements passés et peut-être encore à venir.

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