La première particularité relève de l’article L. 313-24 du code de l’action sociale et des familles(1), qui oblige les institutions sociales et médico-sociales à signaler aux autorités compétentes toute information relative à un événement indésirable ou à un dysfonctionnement grave. En vertu des textes, le salarié – directeur, chef de service, éducateur… – qui alerte de bonne foi son supérieur hiérarchique ou sa tutelle sur des mauvais traitements ou des privations infligées aux personnes accueillies est théoriquement protégé contre d’éventuelles représailles. Les procédures garantissent la confidentialité des auteurs du signalement et des personnes visées par celui-ci. La seconde spécificité est liée au modèle de financement du secteur. Les établissements et services sont indirectement sous la tutelle des agences régionales de santé ou des départements, donc de l’Etat. Ce qui peut avoir une influence sur la volonté ou non de prendre la parole. Mais soyons très clairs : le droit protège tous les lanceurs d’alerte, y compris ceux qui travaillent dans le public.
Outre un rôle d’orientation, mon service est chargé d’informer et de conseiller les lanceurs d’alerte, de défendre leurs droits et leurs libertés et de soutenir ceux qui sont victimes de sanctions. Nous pouvons directement adresser des recommandations aux employeurs ou produire des observations en justice. Notre mission s’étend à d’autres personnes protégées dans le cadre d’une procédure d’alerte, en particulier les tiers et les « facilitateurs », à savoir ceux qui aident le lanceur d’alerte à réaliser le signalement. Nous sommes habilités à traiter toutes les alertes, en plus de celles intervenant dans les champs de compétences traditionnelles du Défenseur des droits : les droits de l’enfant, les discriminations, la déontologie des personnes exerçant des activités de sécurité et les relations avec les services publics. Enfin, si la personne a respecté toutes les conditions requises, nous sommes en mesure de certifier sa qualité de lanceur d’alerte.
Il s’agit d’un avis qui repose sur une note de dix pages d’analyse juridique du statut de lanceur d’alerte. La personne a-t-elle bien suivi la procédure ? Les faits dénoncés sont-ils probants ? Dispose-t-elle de toutes les preuves ? Une fois acquise, la certification permet à quiconque de se prévaloir de ce statut devant son employeur. Ainsi, avant même d’aller en justice, en cas de discriminations ou d’intimidations, le lanceur d’alerte peut brandir cet avis. Dans les faits, cependant, le dernier mot revient toujours au juge, qui reste libre de suivre ou non cet avis. S’il refuse, le lanceur d’alerte a la possibilité de faire appel, voire de se pourvoir en cassation. Mais dans 80 % des cas, le juge confirme notre avis. Ce qui prouve que nous ne certifions pas à la légère.
Toutes les demandes relatives aux lanceurs d’alerte sont systématiquement traitées à Paris, au siège social du Défenseur des droits. Elles nous arrivent par le biais de notre formulaire en ligne ou par courrier. Nous étudions les dossiers avec les juristes de l’institution. L’examen dure environ deux mois, un peu plus si l’affaire est plus compliquée. En cas de doute, nous lançons une procédure contradictoire. En effet, nous avons la possibilité de demander à l’employeur de formuler des observations sur les reproches qui lui sont faits. Nous pouvons aussi convoquer toutes les parties prenantes dans le but d’approfondir le dossier. Le grand public se tourne de plus en plus vers le Défenseur des droits. Alors que 89 saisines concernant les lanceurs d’alerte ont été recensées en 2021, nous en avons dénombré 110 l’année suivante, dont 30 demandes de certification. Les autres requêtes concernent majoritairement leur protection. Si nous n’avons pas de statistiques propres au secteur social et médico-social, nous constatons que de plus en plus de dossiers ont trait à des questions de maltraitance dans des établissements d’accueil.
(1) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, modifiée par la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022.