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Au risque de briser l’omerta

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Alors que la loi du 21 mars 2022 vise à mieux protéger les lanceurs d’alerte, sur le terrain, les professionnels du secteur social et médico-social ont encore du mal à dénoncer les faits de maltraitance dont ils sont témoins. Pourtant, faute de moyens, ces dysfonctionnements pourraient être de plus en plus fréquents.

Comment dénoncer des actes conduisant à des situations de maltraitance au sein d’établissements qui accueillent et prennent en charge des personnes vulnérables qu’ils sont censés protéger ? Choix difficile. Car, pour les lanceurs d’alerte, parler a un prix. Emploi, conjoint, relations sociales, santé… En refusant de se taire, beaucoup de professionnels du secteur social et médico-social ont tout perdu. En 2019, Céline Boussié, aide médico-psychologique licenciée de l’institut médico-éducatif (IME) de Moussaron (Gers) pour avoir mis à jour les mauvais traitements dont étaient victimes des enfants polyhandicapés, déclarait : « Cela m’a coûté cher. Pourtant, je préfère être à ma place plutôt que de n’avoir rien dit. Le matin, je peux me regarder dans le miroir, c’est inestimable ! »(1).

Depuis peu, les lanceurs d’alerte sont mieux soutenus juridiquement. De la loi « Sapin 2 » en 2016 jusqu’à la récente loi « Waserman » de 2022, leur statut a évolué (voir page 13). En pratique, pourtant, peu de choses bougent, et la France continue d’accuser du retard en la matière par rapport à d’autres pays européens. « Malgré des protections renforcées, il demeure compliqué d’être lanceur d’alerte, d’autant plus que, sur le terrain, les professionnels ne connaissent pas la loi de mars 2022. Ils ne savent pas vraiment de qui et de quoi ils sont protégés, ni comment se défendre… Ils ne voient que les inconvénients que l’alerte pourrait leur apporter », résume Ophélie Guillerme, directrice adjointe de l’association Le Connétable, à Dinan (Côtes-d’Armor)(2), et autrice à l’EHESP, en 2019, d’un mémoire intitulé « Les lanceurs d’alerte du secteur social et médico-social et la lutte contre la maltraitance ».

De fait, les obstacles sont nombreux (voir témoignages pages 8 à 11). A tel point que certains, comme Camille Lucas Touati, ancien aide médico-psychologique devenu président du Centre national des lanceurs d’alerte (CNLA), parlent d’« omerta ». Créée en 1990 par une dizaine de professionnels du secteur médico-social, cette association aide les travailleurs sociaux à obtenir le statut de lanceur d’alerte. « Au-delà d’un accompagnement juridique, nous les encourageons à prendre la parole en leur apportant des connaissances et des appuis techniques », renseigne Camille Lucas Touati, qui a lui-même dénoncé des faits de maltraitance il y a quelques années. « Parler, c’est prendre un risque, affirme-t-il encore. En interne, les lanceurs d’alerte subissent tous types de pressions et de représailles : convocations sauvages à n’importe quel moment de la journée, chantage, intimidations, menaces, injures, harcèlement moral, licenciement abusif, procédures judiciaires, réputation entachée… »

Pour autant, la parole se libère peu à peu. Ainsi, depuis 2020, le CNLA a traité près de 5 000 dossiers d’alertes, dont 43 % s’avèrent recevables selon les juristes de l’association. « Ces cas concernent plus spécifiquement la protection de l’enfance et le champ du handicap », indique le président. Créée en novembre 2018 à l’initiative de 17 associations et syndicats, la Maison des lanceurs d’alerte a reçu de son côté près de 500 signalements et soutient actuellement près de 200 personnes. Tous ne proviennent pas du social et du médico-social, mais Juliette Alibert, avocate au barreau de Paris et défenseure de la structure dans certaines procédures, note toutefois quelques spécificités inhérentes au secteur : « Le médico-social est en grande souffrance, sous tension. On nous signale de nombreux problèmes dans les établissements, bien souvent en raison d’un manque de moyens. Cela va au-delà du simple dysfonctionnement structurel. Il s’agit, dans certains cas, de maltraitance institutionnelle. » Une analyse partagée par Ophélie Guillerme, qui constate même une amplification du phénomène : « Cela fait des années que nous dénonçons la situation. Que ce soient les directeurs d’établissement, les représentants du personnel, les salariés, les résidents, les personnes accompagnées ou les familles, tout le monde tire la sonnette d’alarme. En réalité, ce n’est plus une personne isolée qui lance l’alerte mais le secteur dans son ensemble. »

Pas question, cependant, de faire n’importe quoi. Si, grâce à Twitter notamment, tout le monde peut prendre la parole en direct, sans intermédiaire et anonymement pour signaler des dysfonctionnements, il convient de respecter la loi, met en garde Ophélie Guillerme. « Les réseaux sociaux représentent une liberté d’expression, mais il ne faut pas oublier la définition légale du lanceur d’alerte. Attention à ne pas diffamer. Il y a un cadre, des prérequis à respecter », rappelle celle qui propose de « nommer un référent lanceur d’alerte dans chaque structure, de la même manière qu’il existe un référent RGPD ou harcèlement sexuel ». Pour sa part, Camille Lucas Touati suggère de « former tous les professionnels au cadre juridique des lanceurs d’alerte ». Une formation de ce type est déjà dispensée par la Maison des lanceurs d’alerte, et a pour objet de permettre aux salariés du secteur médico-social de comprendre la législation et d’identifier les besoins et les bonnes pratiques. « Mais il appartient aussi aux directions de véhiculer et de diffuser la culture de l’alerte, estime Juliette Alibert. Or certaines couvrent les dysfonctionnements dénoncés par les professionnels. »

Il est trop tôt pour savoir si la nouvelle loi permettra aux professionnels de témoigner ouvertement des négligences envers les publics sans craindre des répercussions. Mais tous les lanceurs d’alerte qui l’ont l’osé par le passé déclarent d’une seule voix que si c’était à refaire, ils le referaient.

Les obligations légales des directeurs

Dans un guide publié en novembre 2022, la Maison des lanceurs d’alerte décortique la nouvelle loi en vigueur. Une double page s’adresse aux professionnels du social et médico-social et rappelle, entre autres, les obligations légales des directeurs. Ils doivent, par exemple, signaler « tout événement ayant pour effet de menacer ou de compromettre la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral des personnes prises en charge ou accompagnées ».

Notes

(1) Voir ASH n° 3102 du 15-03-19, p. 36.

(2) Plateforme de services qui comprend un Ehpad, un Ssiad, un Saad, un centre de soins infirmiers et un accueil de jour.

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