« Mais y a que des vieux, ici ! »
Monsieur Eighties vient de faire une entrée tonitruante dans le hall d’accueil. Je lève la tête vers le nouveau résident et regarde rapidement autour de moi. Aucun jeune à l’horizon. Je souris timidement, tandis que la collègue qui réalise la visite éclate d’un rire franc. « Ben oui, Monsieur Eighties, certains ici ont votre âge, c’est le principe d’un Ehpad… Mais vous allez nous rajeunir tout ça, non ? »
Le nouveau maugrée une réponse inaudible et tourne les talons, tandis que Sophie lui trottine après. « Attendez, nous n’avons pas fini la visite. Il reste encore la salle d’activités, la salle à manger, le salon… » Ses paroles se perdent entre Madame Seventies qui toussote, Monsieur Sixties qui soliloque et le brouhaha routinier de l’Ehpad. A mon bras, Madame Seventies reprend sa marche et, me souriant d’un air entendu, me glisse avec malice : « Il n’a pas l’air commode, le nouveau ! »
J’acquiesce mollement.
Quelques minutes plus tard, Sophie me rejoint dans le couloir du deuxième étage. « Il n’a pas voulu que je l’aide à déballer ses affaires. Il est assis sur le lit et il dit qu’il veut partir. Tu ne voudrais pas lui parler, toi ? Tu avais fait l’accueil de Madame Fifties et ça s’était plutôt bien passé. Tu saurais peut-être trouver les mots ? »
Je me souviens de cette résidente. Elle avait emménagé en urgence après une énième chute à domicile, envoyée directement de l’hôpital sans passer par la case maison. Les premières semaines avaient été compliquées et il nous avait fallu des montagnes de patience et d’ingéniosité pour la convaincre qu’elle pourrait être bien ici. Finalement, elle s’était découvert une passion inattendue pour la chorale et sa voisine de couloir. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’elle se plaisait ici, mais au moins elle n’y était pas si mal.
Je suis maintenant assise à côté de Monsieur Eighties, et nous sommes plongés dans un grand débat. Il me soutient que L’Empire contre-attaque est le meilleur Star Wars de la saga, quand je lui réponds avec force que rien n’égale Le retour du Jedi. « De toute façon, les jeunes, vous croyez tout mieux savoir ! Vous prenez les gens de mon âge pour des vieux croûtons, mais on n’a pas tous grandi en écoutant du Charles Trenet ! »
Je dégrafe nonchalamment le haut de ma blouse. Sous ma tenue, j’arbore fièrement un tee-shirt de Nirvana. Non, tous les jeunes ne sont pas gavés de variété sirupeuse, il reste encore quelques irréductibles qui savent ce qu’est la bonne musique ! Devant cet argument, Monsieur Eighties daigne enfin ouvrir sa valise. Sur le haut de la pile de vêtements, un sweat est soigneusement plié. « Je l’ai ajouté in extremi s avant de partir. » Il le sort religieusement et, sous mes yeux ébahis, se déploie le logo de Metallica.
Sourires entendus. Monsieur Eighties vient de trouver une alliée, et moi un complice. La journée s’annonce moins morose que prévu.