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Indemnisation des Victimes de violences sexuelles

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Plusieurs réformes ont contribué au renforcement de la répression des violences sexuelles, mais peu se sont intéressées à la réparation des préjudices subis par les victimes. Ces dernières peuvent demander réparation devant les tribunaux mais également devant la commission d’indemnisation des victimes d’infractions. Présentation de ces procédures.

C’est une petite révolution qui vient d’être opérée par le tribunal judiciaire de Paris dont un jugement, à coup sûr, est appelé à faire date. En effet, dans une décision rendue le 17 novembre 2022, celui-ci a conclu à l’engagement de la responsabilité civile d’un auteur de faits d’agression sexuelle prescrits au pénal commis sur un mineur de 15 ans. Une première en la matière.

Si plusieurs réformes ont contribué ces dernières années au renforcement de la répression des violences sexuelles (voir encadré page ??), elles ne se sont cependant pas intéressées à la question de la réparation des préjudices subis par les victimes de violences sexuelles.

Pourtant, il existe en France un organisme, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), chargé d’indemniser les victimes en cas d’infraction au titre de la solidarité nationale, à laquelle chaque assuré contribue. La demande d’indemnisation est adressée à la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (Civi). Les conditions restrictives posées par le législateur à la saisine de la Civi peuvent cependant rendre plus efficace un recours en indemnisation engagé devant le tribunal judiciaire.

I. Le recours en indemnisation devant la CIVI

La Civi est une juridiction spécialisée présente auprès de chaque tribunal judiciaire. Elle adresse au FGTI la requête déposée par la victime et les pièces justificatives. Elle reste l’intermédiaire entre la victime et le fonds de garantie tout au long de la procédure d’indemnisation. L’allocation d’une indemnité est conditionnée à l’existence d’une infraction pénale. La demande d’indemnité est, pour sa part, enfermée dans une prescription triennale non adaptée aux séquelles traumatiques présentées par les victimes, notamment mineures de violences sexuelles.

A. L’existence d’une infraction pénale

Les victimes de violences sexuelles peuvent agir en réparation intégrale de leurs préjudices sur le fondement de l’article 706-3 du code de procédure pénale. La personne lésée doit être de nationalité française ou les faits doivent avoir été commis sur le territoire national. Ce même article institue en faveur des victimes d’infractions un mode de réparation autonome répondant à des règles qui lui sont propres (Cass. civ. 2e, 18 juin 1986, n° 84-17283). Cela signifie que l’indemnisation devant la Civi peut être identique, inférieure ou supérieure au montant qui a été alloué par la juridiction pénale à la victime.

La commission d’indemnisation n’est pas liée par la décision prise par le parquet quant aux faits relatés par la victime présumée dans sa plainte. Une décision de classement sans suite n’ayant qu’un caractère provisoire, le président de la Civi doit rechercher si les faits qui lui étaient soumis présentaient le caractère matériel d’une infraction (Cass. civ. 2e, 1er juillet 1992, n° 91-12662).

La tentative d’agression sexuelle, qui est assimilée par le code pénal à l’infraction consommée, entre dans les prévisions de l’article 706-3 du code de procédure pénale (Cass. civ. 2e, 29 mars 2006, n° 04-18483).

Il a également été jugé que l’enfant né du viol de sa mère a la qualité de victime dont le préjudice moral résultant du caractère nécessairement douloureux que prendra l’évocation de sa conception et de sa naissance est personnel, certain et en lien avec les faits ce qui justifie l’allocation d’une indemnisation (CA Caen, 7 novembre 2000).

Quant à l’indemnité prévue en faveur des victimes d’infractions, elle peut être refusée ou son montant réduit en raison du comportement de la personne lésée lors de l’infraction ou de ses relations avec l’auteur des faits (Cass. civ. 2e, 18 octobre 1989, n° 88-10196). Il a toutefois été tranché que le comportement d’une personne, sous l’emprise de l’alcool, ayant été agressée par un inconnu rencontré en bas de son immeuble qu’elle avait conduit à son appartement, ne pouvait être qualifié de fautif, dès lors qu’il n’existait aucun lien direct entre l’agression et l’état dépressif de la victime l’ayant conduite à abuser de l’alcool et à commettre l’imprudence de laisser entrer un inconnu dans son logement (Cass. civ. 2e, 16 février 1994, n° 91-20218).

Le fait que le préjudice subi par la victime résulte de faits présentant le caractère matériel d’une infraction pénale ne suffit cependant pas à lui allouer une indemnité. Encore faut-il qu’elle agisse dans le délai imparti par la loi.

B. L’institution d’une prescription triennale

L’obstacle principal auquel sont susceptibles de se heurter les victimes de violences sexuelles tient au délai imparti pour présenter devant la commission d’indemnisation des victimes d’infractions leur demande d’indemnité. Selon les dispositions de l’article 706-5, alinéa 1er du code de procédure pénale : « à peine de forclusion, la demande d’indemnité doit être présentée dans le délai de 3 ans à compter de la date de l’infraction. Lorsque des poursuites pénales sont exercées, ce délai est prorogé et n’expire que 1 an après la décision de la juridiction qui a statué définitivement sur l’action publique ou sur l’action civile engagée devant la juridiction répressive […] ».

Concrètement, le délai pour présenter la demande d’indemnité n’est prorogé que si des poursuites pénales sont exercées. Une décision de classement sans suite d’une plainte ne constituant pas une décision juridictionnelle, la demanderesse ne peut faire valoir la lenteur de l’enquête de police, jointe à celle des services du palais de justice pour la délivrance des copies pour justifier la présentation tardive de sa demande (Cass. civ. 2e, 30 septembre 1981, n° 81-13015). Les victimes doivent ainsi être vigilantes à l’écoulement du temps et présenter leur demande d’indemnité avant l’expiration du délai de 3 ans, quand bien même l’enquête préliminaire ou l’instruction serait en cours.

L’article 706-5, alinéa 1er du code de procédure pénale prévoit toutefois que « la commission relève le requérant de la forclusion lorsque [à l’issue d’un procès pénal] l’information prévue à l’article 706-15 n’a pas été donnée, lorsque le requérant n’a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis ou lorsqu’il a subi une aggravation de son préjudice ou pour tout autre motif légitime ».

Ces règles sont également applicables aux mineurs, aucun texte n’écartant l’application de la suspension de la prescription à leur profit (Cass. civ. 2e, 18 mars 1998, n° 97-10555).

Si le législateur a, ces dernières années, modifié les règles de prescription de l’action publique, il n’a cependant pas procédé à une modification de la prescription de la demande d’indemnisation pouvant être présentée devant la Civi. Les règles posées par le code civil en matière d’indemnisation des préjudices des victimes ayant subi un dommage corporel peuvent alors s’avérer un recours efficace.

II. Le recours en indemnisation devant le tribunal judiciaire

La prescription de l’action pénale est sans incidence sur celle portée devant le tribunal judiciaire qui repose sur le régime de la faute civile et sur celui de la prescription des séquelles.

A. La faute civile

L’article 1240 du code civil pose un principe général de responsabilité personnelle. Selon cet article, « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». La faute visée par cet article désigne l’attitude d’une personne qui, par négligence, imprudence ou malveillance, manque à son devoir de ne causer aucun dommage à autrui.

Alors que dans le cadre des demandes présentées devant la commission d’indemnisation des victimes d’infractions la preuve des faits allégués par la personne requérante peut être rapportée au cours de l’enquête préliminaire ou de l’instruction, la Civi disposant, le cas échéant, d’un pouvoir d’audition et d’investigation lui permettant de faire toute la lumière sur les faits portés devant elle (CPP, art. 706-6, al. 1er), dans le cadre d’une action en responsabilité civile, la charge de la preuve pèse sur le demandeur (code civil, art. 1353) qui doit établir la réalité des faits qu’il allègue à l’appui de sa prétention.

Dans l’affaire jugée par le tribunal judiciaire de Paris, celui-ci aurait considéré, selon les informations rapportées par les médias, au regard du témoignage du demandeur, de l’expertise psychiatrique qu’il a réalisée et de la dénonciation, par d’autres personnes, de faits similaires imputés au défendeur, que ceux exposés dans le cadre de l’instance portée devant lui étaient établis à l’encontre de ce dernier.

Le succès de cette action repose sur l’adéquation spontanée entre le délai de prescription prévu par le législateur et les lésions pouvant être causées par des violences sexuelles, celles-ci étant susceptibles d’évoluer encore plusieurs années après la commission des faits.

B. L’institution d’un régime de responsabilité décennale

En vertu de l’article 2226, alinéa 1er du code civil, « l’action en responsabilité née à raison d’un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par 10 ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ».

La difficulté à fixer une date de consolidation peut résulter de la nature des lésions subies par la victime. Dans une affaire concernant l’action en responsabilité et indemnisation, engagée par une personne soutenant avoir été victime d’agressions sexuelles dans son adolescence, la Cour de cassation a jugé que le préjudice, dont se prévalait la victime, constituait un préjudice corporel. Or, selon une jurisprudence constante reprise par l’article 2226 du code civil, le délai de la prescription court à compter de la date de la consolidation de l’état de la victime. Elle a donc cassé, pour défaut de base légale, la décision de la cour d’appel ayant fixé ce point de départ au début de la psychothérapie. La Cour de cassation a considéré que, juridiquement, les atteintes psychologiques peuvent se consolider. Elle a en revanche estimé que la date constituant cet événement ne peut pas être fixée à la date à laquelle l’intéressée a entrepris une psychothérapie. Si une telle démarche est révélatrice de sa prise de conscience de l’aggravation de son dommage et de la nécessité d’y remédier, elle ne marque pas pour autant la stabilisation de son état (Cass. civ. 2e, 7 juillet 2022, n° 20-19147).

Il convient cependant de relever que, dans une autre espèce, la Cour de cassation a procédé à une analyse sévère des dispositions de cet article, dont l’alinéa 2 prévoit que « toutefois, en cas de préjudice causé par des tortures ou des actes de barbarie, ou par des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur, l’action en responsabilité civile est prescrite par 20 ans ».

Dans une affaire concernant des actes d’agressions sexuelles et de violences commis alors qu’ils étaient mineurs par leur père, deux enfants ont entendu engager la responsabilité civile de leur mère pour s’être abstenue, dans le même temps, de dénoncer ces crimes, de leur porter secours et de leur prodiguer des soins. La Haute Juridiction a considéré que la prescription de 10 ans de l’action en responsabilité née à raison d’un événement ayant entraîné un dommage corporel s’applique quand bien même l’événement ayant entraîné le dommage serait en relation avec des faits d’agressions sexuelles commises contre des mineurs (Cass. civ. 2e, 3 mars 2016, n° 15-13747).

Alors que la règle posée par l’article 706-5 du code de procédure pénale fait partir le point de départ de la prescription au jour de la commission des faits, celle posée par l’article 2226 du code civil le fixe au jour de la consolidation du préjudice, c’est-à-dire au jour où « le moment où les lésions se sont fixées et ont pris un caractère permanent tel qu’un traitement n’est plus nécessaire si ce n’est pour éviter une aggravation, et qu’il devient possible d’apprécier l’existence éventuelle d’une atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique » (Rapport Dintilhac)(1). Aucun de ces régimes d’indemnisation n’est cependant pleinement satisfaisant. Si le délai de prescription de l’action en responsabilité fondée sur l’article 2226 du code civil semble jouer en faveur de la saisine du tribunal judiciaire, en pratique, l’effectivité réelle du jugement rendu par cette juridiction est conditionnée à la solvabilité de l’auteur de la faute. Inversement, alors que le délai de prescription de la demande présentée devant la Civi est exclusif de nombreuses victimes de violences sexuelles, dans les faits, le versement des indemnités allouées par cette juridiction spécialisée y est garanti, étant assuré par le FGTI. Selon les dispositions de l’article 706-11 du code de procédure pénale, ce dernier est, par ailleurs, « subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l’infraction ou tenues à un titre quelconque d’en assurer la réparation totale ou partielle le remboursement de l’indemnité […] versée par lui ».

Au regard de l’amnésie traumatique ou de l’impossibilité psychologique d’agir touchant nombre de victimes de violences sexuelles et afin de résoudre les difficultés attachées aux différentes actions en réparation de leurs préjudices qui s’offrent à elles, le législateur devrait envisager de clarifier le régime de la prescription concernant le droit à indemnisation des préjudices qui leur ont été causés.

Avancées récentes

• La loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a, dans un premier temps, allongé les délais de prescription de l’action publique à 30 ans pour les faits de viol commis sur des mineurs (code de procédure pénale [CPP], art. 7, al. 3) – contre 20 ans à compter de la commission de l’infraction lorsque la victime est majeure (CPP, art. 7, al. 1er) – et à 20 ans pour les faits d’agression sexuelle commis sur des mineurs de 15 ans (CPP, art. 8, al. 3) – contre 10 ans à compter de la commission de l’infraction sur des mineurs de plus de 15 ans (CPP, art. 8, al. 2) et 6 ans lorsque les faits sont commis sur une personne majeure (CPP, art. 8, al. 1er).

• La loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste a quant à elle inséré plusieurs nouvelles infractions dans le code pénal : le crime de viol sur mineur de moins de 15 ans (art. 222-23-1), le crime de viol incestueux sur mineur (art. 222-22-3), le délit d’agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans (art. 222-29-2), le délit d’agression sexuelle incestueuse sur mineur (art. 222-29-3) ou encore le délit de sextorsion (art. 227-22-2). Elle a également introduit un principe de « prescription glissante » impliquant que le délai de prescription d’un viol commis sur un mineur est prolongé en cas de commission sur un autre mineur par la même personne, avant l’expiration de ce délai, d’un nouveau viol, d’une agression sexuelle ou d’une atteinte sexuelle (CPP, art. 7, al. 3). Le même principe s’applique en matière d’agression sexuelle ou d’atteinte sexuelle (CPP, art. 7, al. 4).

Notes

(1) Le rapport de Jean-Pierre Dintilhac a pour but d’élaborer une nomenclature commune des préjudices corporels. Juillet 2005.

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