Morts comme vivants, leur nombre exact demeure un mystère. Les organisations internationales évaluent cependant à deux millions le nombre de personnes ayant tenté, ces huit dernières années, la traversée de la Méditerranée pour rejoindre l’Europe, principalement depuis l’Afrique subsaharienne et le Moyen-Orient. Parmi elles, au moins 25 000 disparues ou présumées mortes. Peu de corps sont repêchés, même quand le lieu du naufrage présumé a pu être identifié. Quant à ceux roulés par les vagues et échoués sur les plages italiennes, grecques ou chypriotes, la plupart n’ont droit qu’à une sépulture anonyme. L’hebdomadaire américain The New Yorker du 11 janvier est parti sur les traces de ces corps sans nom et de leurs familles, confrontées à un deuil impossible. Les gouvernements européens ne s’en soucient guère, et tentent par tous les moyens de s’épargner les coûteuses opérations de repêchage et de remorquage des épaves, lesquelles se chiffrent en millions d’euros, comme les fastidieuses enquêtes sur l’identité des migrants retrouvés au fond de la mer. « Trouver des personnes disparues et investiguer sur leur disparition relève de la responsabilité des Etats, qu’elles soient citoyennes ou non, indépendamment de leur nationalité, de leur origine ethnique, de leur origine raciale », plaide pourtant Kathryne Bomberger, directrice générale de la Commission internationale sur les personnes disparues, dans les colonnes du New Yorker.
Créée en 1996 sous l’impulsion du président Bill Clinton après le conflit dans les Balkans, la structure maintient la pression sur les gouvernements, avec l’appui de la Cour pénale internationale (CPI), pour localiser et identifier les corps des migrants décédés et mener des enquêtes sur les circonstances de leur disparition. Jusqu’ici en vain. L’inaction des politiques entraîne pourtant de graves conséquences humaines et juridiques : les personnes qui ne peuvent prouver qu’un conjoint est décédé auront, par exemple, des difficultés à percevoir une pension. Et en l’absence de corps, les poursuites judiciaires à l’encontre des réseaux mafieux qui prennent en charge la traversée des migrants sont rendues quasiment impossibles.
Une poignée d’ONG tentent malgré tout de combler ce vide. Citons parmi elles l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui finance un projet sur les migrants disparus. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) s’emploie également à retrouver la trace des noyés en mer Méditerranée, à l’instar du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ou de Human Rights Watch (HRW). Aux niveaux local et régional, des associations travaillent, elles, en amont des naufrages : Alarm Phone, qui exploite une « hotline » pour les migrants en détresse en Méditerranée et dans l’océan Atlantique, Proactiva Open Arms, une ONG fournissant des services d’aide d’urgence et de sauvetage, ou encore WatchTheMed Alarm Phone, autre organisation qui tente de coordonner les opérations de sauvetage avec les autorités compétentes.
Mais cette mobilisation s’avère bien dérisoire face à l’ampleur de la tâche. En Italie, rapporte le New Yorker, le laboratoire d’analyses médicales de l’université de Milan effectue des analyses des restes d’ADN, « avec l’aide d’une équipe bénévole d’anthropologues médico-légaux dévoués et bénévoles », sans recevoir le moindre financement de l’Etat, et grâce à la générosité d’acteurs privés. Depuis ses débuts, la structure aurait réussi à identifier une cinquantaine de personnes.