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« Tout se joue sur les mots “physique” et “juridique” »

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L’ancien magistrat Jean-Pierre Rosenczveig porte un regard critique sur le déploiement des placements à domicile. Sont en cause, selon lui, l’« incongruité » d’un dispositif qui se voulait à l’origine exclusivement temporaire et les questionnements qu’il soulève en matière de responsabilité civile et pénale.
Que pensez-vous du développement actuel des placements à domicile ?

Avec d’autres, j’ai été porteur de la loi de 2007 à travers l’« Appel des 100 » que nous avions lancé à l’époque car nous souhaitions, notamment avec l’accueil séquentiel, introduire plus de souplesse dans les prises en charge(1). Nous voulions augmenter la diversité de la boîte à outils. Le retour d’un enfant à la maison se prépare. A l’origine, avec le placement à domicile (PAD), l’idée était de partir de la situation d’un enfant déjà confié à l’ASE et de permettre de faire doucement bouger les choses. Cette disposition se voulait un temps intermédiaire entre un départ définitif et un retour définitif. Mais ce qui devait être provisoire est devenu un objectif en soi, avec des PAD qui durent six mois, un an, deux ans… Désormais, il existe même des départements qui lancent des appels d’offres pour ce type d’hébergement.

Aujourd’hui, de plus en plus de PAD semblent cependant ordonnés par les juges pour enfants…

Les juges sont évidemment réticents à l’idée de retirer un enfant de chez lui. Il faut vraiment que des éléments graves le justifient. D’un autre côté, il faut que quelque chose se passe. Un juge est très dépendant des dispositifs mis à sa disposition. Or l’outil moderne qu’on leur propose actuellement est le PAD. C’est le paradoxe de l’œuf et de la poule : les magistrats provoquent-ils la création de services en multipliant les placements à domicile ou est-ce la création des services qui suscite les décisions des juges ? Je n’en sais rien. La certitude, c’est que c’est abracadabrantesque des deux côtés. En France, la tendance consiste souvent à inventer tous les cinq ans une nouvelle technique ou un nouveau dispositif sans y avoir vraiment réfléchi avant. « Placement à domicile », cela sonne original. Mais quel est l’objectif ? D’une manière générale, d’ailleurs, je réfute le concept de placement : on « accueille » un enfant, on ne le « place » pas, ni en famille ni ailleurs.

Pourquoi insistez-vous sur l’« incongruité » de ce dispositif ?

On a substitué la création de dispositifs d’AEMO (action éducative en milieu ouvert) simple ou renforcée à une modalité qui, en effet, est selon moi totalement incongrue : le retrait juridique d’un enfant tout en le maintenant physiquement chez ses parents. Tout se joue sur ces deux mots : « physique » et « juridique ». Si le président du conseil départemental, à travers la Crip (cellule départementale de recueil des informations préoccupantes), a fait un signalement d’enfant en danger au procureur, si celui-ci a relayé cette situation au juge et si ce dernier a estimé qu’il y avait un risque tel qu’il était nécessaire que l’enfant parte, comment peut-il alors le placer chez lui ? C’est encore plus incompréhensible pour les parents à qui on retire leur enfant tout en le laissant à la maison, ou pour l’enfant à qui on dit : « Tu pars », tout en restant. Comment peut-on participer à une décision où on dit blanc et noir dans le même instant ? Rendre la justice, c’est aussi la restituer aux personnes qui la comprennent.

Quels enjeux juridiques cette situation de placement pose-t-elle ?

La question des responsabilités se pose, notamment la responsabilité civile. D’abord, celle découlant des pouvoirs sur l’enfant. La loi dit que même quand l’enfant est confié à l’aide sociale à l’enfance, y compris accueilli en foyer, les parents restent titulaires de tous les attributs de l’autorité parentale – en d’autres termes, l’orientation scolaire, la sortie du territoire, les opérations graves, etc. Quand l’enfant est à la maison et confié, il faut bien que les travailleurs sociaux illustrent la notion de « on me l’a confié ». Ils vont s’asseoir autour de la table de famille, vont vouloir prendre des décisions tandis que les parents risquent de s’y opposer. C’est un premier problème pour les actes de la vie courante et les actes importants. Le second point concerne tout ce qui peut arriver et être source de responsabilité civile, sinon pénale. Il y a un accident, le jeune bouscule quelqu’un, commet des attouchements sur sa cousine à la maison… Qui est responsable ?

Notes

(1) En 2005, à travers l’« Appel des 100 », travailleurs sociaux, magistrats, responsables associatifs et parlementaires réclamaient la mise en œuvre d’un débat national sur la protection de l’enfance et, notamment, qu’un travail de prévention soit mené avec les parents.

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