L’« action sociale » est née, d’une part, de lectures critiques, politiques et morales de l’état de la société française à la fin du XIXesiècle et, d’autre part, de volontés de réformer celle-ci. Elle cherche à apporter des réponses pratiques à deux enjeux, qu’elle pose avec insistance, en les reliant plus ou moins : la structuration de la société elle-même et la déprolétarisation ouvrière. A l’heure du virage vers un nouveau siècle, il n’est plus besoin d’enquête : la précarité et la misère ouvrières sont patentes et apparaissent bien comme étant liées à la libéralisation du travail et à l’industrialisation de la production. Les salaires sont insuffisants et instables ; les grèves se multiplient et se radicalisent ; les ouvriers s’organisent entre eux, se politisent, se syndicalisent et plus nombreux sont ceux qui en appellent à une lutte des classes visant à révolutionner la société. La question ouvrière se pose aussi comme étant sociétale et politique : la reconnaissance républicaine des libertés individuelles suffit-elle à assurer la cohésion sociale ?
Au regard de ces injustices et de ces dissociations, deux corps doctrinaux politico-sociaux fondateurs – divergents dans leurs fondements théoriques et spirituels – vont renouveler, dans les années 1890, les références idéologiques et pratiques : d’une part, la doctrine sociale catholique, reformulée par le pape Léon XIII en 1891 dans son encyclique Rerum novarum et, d’autre part, le « solidarisme », théorisé en 1896 par le républicain Léon Bourgeois (1851-1925). Chaque texte met en cause le libéralisme économique intégral et le socialisme étatique ; l’un et l’autre initient une troisième voie, qui en appelle à une coopération des classes sociales entre elles susceptible de rétablir l’unité de la société et d’y intégrer les ouvriers ; et tous deux offrent un idéal social que de nouvelles générations d’acteurs tenteront de traduire en réformes législatives et en de multiples dispositifs d’action privée.
Adossées pourtant à des fondements distincts, voire contradictoires (le scientisme et le catholicisme), ces deux contributions théoriques majeures n’en appellent pas moins ensemble à la responsabilité sociale de chaque individu, à la prise de conscience d’un « devoir social » personnel. C’est dans ce contexte que l’« éducation sociale », dite aussi « éducation populaire », et l’« action sociale », associées désormais à l’enjeu de « justice sociale », prennent une place centrale dans les discours réformistes, mais aussi et surtout justifient de nouvelles formes d’action qui se consolideront les années suivantes.