Petit instant pris sur le vif entre Roméo, 18 ans et sa mère, assistante de service sociale (ASS), juste avant une plongée dans Parcoursup :
– Mais t’es fou Roméo ! Tu vas pas passer le concours pour entrer à l’école d’éduc ? !
– Bah pourquoi pas ? T’es bien assistante sociale, toi.
– Mais non, non, non ! En dehors de notre tendre guéguerre ancestrale entre ASS et éduc, tu vois bien que les travailleurs sociaux n’en peuvent plus. Il y a plein de burn-out, de démissions, de ras-le-bol, et plus aucun moyen pour faire face à la misère. Tu vois bien qu’on est tous dans la rue ! Allume la télé, regarde les infos… Enfin non, aux infos, on parle pas de nos manifs… Bon, mais euh… regarde sur les réseaux sociaux…
– Ouais, oh bah, je ne connais pas un Français qui ne soit pas allé défiler une fois dans sa vie ! D’ailleurs, un Français qui n’a jamais manifesté, il y a de quoi se poser des questions sur une éventuelle imposture ! Tu vois, toi, tu t’y es prise tôt avec moi, regarde cette photo de la grève de 2005, je suis dans la poussette et toi tu as le poing levé !
– O… Oui, mais bon, peut-être, mais tu ne crois pas que tu pourrais faire autre chose, de mieux, mieux payé je veux dire, mieux reconnu, mieux ?… Moins…
– Hep ! hep ! hep ! Objection ! Je suis aussi le fruit de ton éducation. Tu sais, celle qui dit qu’on ne doit pas rester indifférent face aux injustices. Tu n’as qu’à t’en prendre qu’à toi-même !
– Là, je t’arrête tout de suite. Tu peux être avocat pour ça, ou ministre ou député pour peser sur les lois.
– Mais ce n’est pas exclu… dans un second temps. Dois-je te rappeler que Barack Obama a été travailleur social avant d’être Président des Etats-Unis ?
– Ah ouais, quand même ! Et les chevilles, sinon, ça va ?
– Les chevilles, on s’en fout pour être éduc, non ?
– Nan ! fais autre chose ! Penses-y au moins !
– OK… Je ferai autre chose… quand il n’y aura plus d’exclus…
– Ah, c’est malin !
– Tu vois qu’il faut bien des personnes pour s’en préoccuper. Toi-même tu sais.
– Mais tu as horreur du sport…
– Et ?
– Tu vois, travailleur social, c’est un peu un alpiniste qui gravit une montagne à poil, avec des engelures partout, et même si la montagne a été gravie avec abnégation, humilité et persévérance, on ne trouve personne pour dire bravo !
– J’aime pas le sport mais j’adore les défis. Et crois-moi, être le fils d’une ASS, c’est déjà un sacré défi !