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« La mobilité nécessite de composer avec les contraintes »

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Mandatés par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares, ministère du Travail), dix chercheurs et chercheuses mènent une recherche de trois ans, jusqu’en janvier 2024, sur les publics du dispositif d’insertion Emile. Violaine Girard, coordinatrice de l’équipe, et Lilian Lahieyte en révèlent les premiers éléments.
En quoi l’objet de votre recherche consiste-t-il ?

Violaine Girard : La Dares nous a missionnés pour suivre les trajectoires des personnes inscrites dans le parcours Emile. Et constater, notamment à travers des entretiens biographiques, quels sont les effets à long terme de l’installation. Comme pour tout dispositif public, des types de profils vont s’y inscrire plus ou moins facilement. Nous avons donc cherché à comprendre quels sont les déterminants de l’entrée et du maintien dans l’organisation, quelles ressources et contraintes favorisent une installation satisfaisante dans les territoires.

Quelle est la particularité de ce programme ?

V. G. : Il s’inscrit à la croisée de différents secteurs de l’action publique et répond à plusieurs préoccupations. D’abord en Ile-de-France, territoire de saturation des hébergements d’urgence et du mal-logement, de tensions sur le logement social et des enjeux de fluidification de l’intermédiation locative (IML). Des préoccupations ensuite en région : agir sur l’aménagement du territoire avec l’idée, à travers le plan « Action cœur de ville », de revaloriser les petites et moyennes communes ; répondre à la tension sur les emplois dans des territoires à faible dynamique démographique.

Lilian Lahieyte : Ce programme a l’originalité d’introduire des préoccupations qui ne sont pas centrales dans le secteur social. Les professionnels travaillent beaucoup pour anticiper les attentes des employeurs, pour les convaincre de recruter. Et leurs profils sont très variés : une minorité est issue du travail social.

« Rééquilibrer » les territoires est-il une simple question arithmétique ?

L. L. : Il faut se méfier des constats de déséquilibres. L’opposition entre une Ile-de-France saturée et une province en moindre tension est simpliste. Dans la pratique, elle n’est pas forcément si tranchée. D’abord, du point de vue des compétences professionnelles. Face à des employeurs en quête de main-d’œuvre, des candidats peuvent ne pas être assez qualifiés ou spécialisés. Et la vacance dans le logement social ne correspond pas nécessairement aux besoins des candidats. C’est le cas des hommes isolés sans enfants, notamment : ils peinent à trouver un logement social adapté. Envisager la mobilité nécessite de composer avec les contraintes des personnes, avec leurs parcours de vie et leurs attentes, ainsi qu’avec les contraintes des territoires. Cela demande un certain bricolage.

Quel est le profil des candidats ?

L. L. : De 2019, date de début du programme, à novembre 2022, 2 260 personnes ont été reconnues éligibles, à un moment donné, au programme. Des personnes alors sans bail à leur nom, sans emploi stable et en situation régulière sur le territoire. Leur âge moyen est de 37 ans, l’âge médian de 35 ans. 65 % d’entre elles sont des hommes, 62 % sont des personnes isolées – au sens administratif du terme, c’est-à-dire qu’elles sont seules à un instant T –, et 61 % sont de nationalité étrangère. Plus d’un tiers de la population est composée de personnes hébergées chez des tiers, notamment par des réseaux de personnes migrantes. Elles n’ont pas accès à un logement autonome mais ont des frais inhérents. Un autre tiers est accueilli en structure d’hébergement collectif (urgence, centres d’hébergement et de réinsertion sociale, foyers de jeunes travailleurs…). Et le dernier tiers correspond à des situations diverses, notamment de rue. On constate donc une grande diversité de profils. Mais du point de vue du travail et des revenus, cette population est assez homogène. Le revenu moyen, si l’on additionne les revenus de transferts, sociaux et autres, est de 600 €. Ce qui est très faible. En termes de catégorie professionnelle – celle occupée le plus longtemps par les personnes –, 45 % sont des employés peu qualifiés, 38 % des ouvriers peu qualifiés et 2 % sont des cadres.

Qu’observez-vous dans les parcours de mobilité ?

L. L. : Une partie du travail consiste à exploiter les données du système informatique, à la fois en amont, avec la répartition des candidats, et en aval, avec l’accompagnement. On peut alors étudier finement les déterminants. Ce qui permet de dire qu’il n’existe pas un profil type mais un ensemble de variables de l’adhésion au programme et des conditions d’installation. Plusieurs trajectoires sont possibles. On constate que les couples sans enfants, toutes choses égales par ailleurs, ont plus de chances de partir et de bien vivre leur installation. Des profils plus compliqués peuvent aboutir aussi à une mobilité : des hommes seuls, ayant des enfants dans leur pays d’origine, sont prêts à abandonner des situations professionnelles plus valorisantes en Ile-de-France pour accomplir, via le programme, un projet de regroupement familial.

V. G. : Ces installations peuvent être l’occasion d’un changement biographique. Certains, atteignant la quarantaine ou la cinquantaine, souhaitent tourner la page. D’autres font face à des ruptures : je pense à une personne plus jeune, hébergée chez son ex-compagne, qui avait connu plusieurs situations d’hébergement chez des proches ; ou encore des personnes confrontées à des addictions, qui désirent s’éloigner de certains lieux. Des femmes également, avec des enfants jeunes ou adolescents, qui veulent un vrai logement, pouvoir cuisiner, être indépendantes.

Ces populations sont-elles toujours aptes à travailler ?

L. L. : Le programme considère que tout le monde est employable. C’est une transposition du plan « Logement d’abord » : certains freins sont réels mais tout le monde peut aller dans l’emploi. Malgré tout, sur le terrain, les travailleurs sociaux ont parfois des surprises, notamment avec des situations d’addiction ou de troubles psychiatriques, entre autres chez des personnes en migration ou à la rue. Ce n’est pas une généralité, mais lorsque les chargés d’accompagnement rencontrent ces réalités, ils doivent travailler dans la dentelle.

V. G. : L’idée des pouvoirs publics, réaffirmée dans différents cadres, est de placer les personnes en emploi, en proposant un accompagnement social, et d’aider dans le même temps les entreprises à recruter. Ce qui peut heurter dans leurs pratiques professionnelles les chargés d’accompagnement qui connaissent des entreprises où les conditions de travail restent très difficiles et estiment que certaines personnes auraient davantage leur place dans un secteur d’emploi protégé.

Quel est le potentiel du dispositif et est-il généralisable ?

V. G. : C’est difficile à évaluer. Le programme a apporté des améliorations très positives à certains publics : des jeunes couples, notamment, ont commencé à cohabiter en s’installant ; je pense aussi à une personne installée à Aurillac qui était extrêmement contente. Mais les gens y perdent aussi des contacts, un réseau, etc. Et il est vrai qu’il faut être prêt à s’engager dans ce tournant biographique, à pouvoir maintenir des contacts avec ses proches tout en étant à distance géographique… Le programme reste fondé sur le volontariat des personnes. Mais elles sont toujours volontaires sous une certaine forme de contrainte. Dans l’idéal, si elles trouvaient un logement social, elles ne partiraient pas si loin. Souvent, il leur est difficile de quitter les grosses agglomérations. C’est la raison pour laquelle beaucoup aimeraient être orientées vers des territoires accessibles rapidement en train, à des prix pas trop élevés, depuis l’Ile-de-France. Migrer vers des petites villes, dans des zones rurales, n’est souvent pas la solution rêvée. Les personnes partent d’abord parce qu’elles ont des perspectives très incertaines en Ile-de-France.

L. L. : Ce qu’il faut généraliser, je pense, c’est ce travail de dentelle, au cas par cas.

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