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« Raconter le monde du village »

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Le secret professionnel en milieu rural s’apparente à un exercice d’équilibriste. Gage incontournable de professionnalisme de l’intervenant à domicile, son respect rencontre de grandes résistances dans les campagnes, frappées par le manque de lien social, conséquence de la désertification et du vieillissement de la population.

Extrait tiré du hors-série des ASH n° 9 de Septembre 2021

Le contenu de ce qui est préservé par le secret professionnel passant par la parole, arrêtons-nous sur la fonction de la communication et du langage. Bien que les avis des chercheurs divergent, la plupart s’accordent à ne pas restreindre le langage à une fonction de transmission d’informations. La communication verbale participe du fondement du lien social. Dans le contexte d’un accompagnement, le bavardage ordinaire qui ne transmet aucune information essentielle est une forme de pratique sociale tenant chez les humains le même rôle que l’épouillage chez les singes. Selon l’anthropologue Robin Dunbar, 65 % environ du temps de conversation est consacré à des sujets destinés « à mettre de l’huile dans les rouages de la machine sociale »(1), et nous parlerions essentiellement pour raconter des histoires.

Une vieillesse privée de lien

Or, dans les villages de la France profonde, les personnes âgées qu’accompagnent les intervenants à domicile ne sont-elles pas privées de lien, ce besoin essentiel qui anime l’être humain dès son enfance ?(2) Le grand âge est considéré comme l’une des périodes de la vie où l’attachement redevient crucial, son besoin étant accru par la vulnérabilité physique, l’isolement et la perte du statut social. Le fait de « papoter », d’échanger des potins, au-delà de combattre l’ennui, ne compenserait-il pas la rupture avec son village induite par un enfermement domestique dû à un handicap trop souvent mal compensé ? C’est pourquoi, lorsque l’accompagnement aux sorties, pourtant essentiel, est rendu impossible, seule la parole narrative continue à raconter le monde du village. Elle entretient un sentiment de reconnaissance et une insertion dans le système social.

L’intervenant à domicile doit se montrer circonspect dans sa communication verbale. Trier les informations à transmettre est loin d’être un exercice aisé, car une posture empathique plonge dans une proximité avec le public que l’on côtoie, où le contrôle n’est pas si évident. Les activités auxquelles le professionnel essaie d’associer la personne en instaurant un partage ne doivent pas lui faire oublier la vigilance quant aux contenus de ses échanges. En outre, bien souvent dans les campagnes, les personnes accompagnées et leurs accompagnants se connaissent, voire sont parents. Et il s’avère parfois difficile de renoncer à accompagner une personne au motif d’en être trop proche.

Dans ce contexte, l’intervenant à domicile doit se livrer à une dichotomie permanente qui consiste à distinguer en son for intérieur la professionnelle de la voisine, de l’amie ou de la parente. Il s’agit d’un aspect de la distance professionnelle souvent mal compris. On ne peut donner des nouvelles d’une personne accompagnée comme s’il s’agissait d’une voisine. Il est essentiel que l’intervenant se plie à cette éthique de la confidentialité, sans oublier que communiquer le nom d’un bénéficiaire est une première enfreinte au secret professionnel, et non des moindres. Il n’est pas facile pour une personne accompagnée d’admettre qu’elle a besoin d’aide pour ses actes de la vie quotidienne, et encore moins de savoir que ce besoin fait l’objet de conversations.

Reconnaissance d’un métier

Ainsi, en campagne, respecter le secret professionnel est à la fois plus difficile et plus indispensable qu’en ville, où l’anonymat étend déjà un voile sur l’intimité des personnes. Chez la personne, dans la rue ou chez un commerçant, cet effort permanent consiste à se répéter que « donner des nouvelles » est un acte loin d’être anodin et qui exige d’y réfléchir à deux fois. Pour ce faire, les intervenants à domicile devront intégrer cette absolue nécessité du secret professionnel, avec la conviction que leurs fonctions ne se confondent pas avec leur vie personnelle mais constituent un métier à part entière, qu’ils n’auront de cesse d’expliquer, contribuant ainsi à la reconnaissance dont ils manquent trop souvent.

Notes

(1) « Robin Dunbar. Pourquoi le langage ? », J.-F. Dortier, in « Les grands penseurs du langage » – Les Grands dossiers des sciences humaines n° 46, 2017.

(2) Selon le sociologue Emile Durkheim, on distingue quatre types de liens sociaux : celui de filiation (parenté), celui de participation élective (proches choisis), celui de participation organique (au sens de la complémentarité des individus et des fonctions dans le monde du travail) et celui de citoyenneté (entre membres d’une même communauté politique).

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