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« Quelque chose de spécial à me dire »

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Les derniers temps de la vie sont propices au dévoilement de secrets qu’il semble impossible d’emporter dans la mort. Travailler en gériatrie conduit souvent à être dépositaire de ce qui n’a jamais été révélé et pourrait faire obstacle à une fin de vie apaisée, impliquant d’accueillir ce qui, bien que souvent douloureux, est offert comme la marque de confiance la plus grande qui soit.

J’ai rencontré Christiane H. au début de ma nouvelle vie professionnelle, et cette femme de 96 ans a véritablement initié à l’accompagnement des personnes âgées la directrice novice que j’étais en 1994. Parce qu’elle avait guidé mes premiers pas dans cette nouvelle vie, je lui devais bien de tenir sa main pour ses derniers pas dans ce monde et d’être digne de la confiance qu’elle m’accordait en me confiant ses peurs… et son secret.

Nous avions partagé plus de trois années, quand un cancer en sommeil s’est réveillé pour la terrasser à l’aube de ses 101 ans. Christiane voulait franchir ce cap de 100 ans et n’a rien cédé jusqu’au moment où, sitôt ses bougies soufflées, et désormais sans but, elle a laissé le champ libre à la maladie. Le temps n’ayant en rien altéré sa vivacité d’esprit, son médecin traitant lui a fait part avec franchise de la situation et, ensemble, nous avons pris l’engagement d’être à ses côtés jusqu’au bout et de traiter au mieux ses douleurs pour qu’elle puisse vivre paisiblement ses derniers jours.

Lorsqu’elle a compris que sa vie allait s’achever, Christiane a ressenti le besoin de me raconter son histoire plus précisément qu’elle ne l’avait fait jusque-là. Chaque soir, je la rejoignais dans sa chambre, j’écoutais sa peur de l’inconnu qui se présentait devant elle. Je recevais son histoire comme le dernier témoin de ce qu’elle avait été.

Christiane avait perdu une petite fille, avait été veuve de bonne heure et son fils, qui vivait désormais à l’autre bout de la France, ne venait la visiter qu’une fois l’an, au mois de juin. Nous étions en mars et celui-ci n’envisageait pas de changer son programme. Il ne restait donc auprès d’elle que les professionnels qui en prenaient soin, et moi, qu’elle avait choisie pour être, comme elle le disait, son « ange gardien ».

Soir après soir, pendant tout ce temps où elle a attendu que son fils change ses plans pour lâcher prise, je me suis assise à côté de son lit, écoutant. Et Christiane racontait son mariage en 1919, l’exode en 1940, les deuils, les maladies. Puis, un soir, elle m’a dit qu’elle avait quelque chose de spécial à me dire. Un secret qui lui pesait depuis des années et qu’elle voulait me confier. Christiane, qui avait toujours raconté à sa famille comme à nous que son mari était mort d’une embolie pulmonaire, me dit alors : « Mon mari n’est pas mort d’une embolie pulmonaire, et c’est de ma faute s’il n’est plus là. Mais ça, je n’ai jamais pu le dire à personne. »

Elle se mit à me raconter ce moment où elle avait dû s’absenter deux jours pour enterrer une tante seule au monde dans le centre de la France. Son mari ne l’accompagnant pas, et parce qu’il était incapable de cuisiner, elle avait tout préparé : il n’aurait pas à se servir de la gazinière. Mais le couple avait un chat qui, chaque soir, réclamait du lait tiède. Le mari de Christiane n’a pas voulu priver l’animal. Il a donc allumé le gaz et ne l’a jamais éteint. Le lait, qui a débordé, avait soufflé la flamme, le gaz a envahi leur petite maison et asphyxié Monsieur H. Christiane est rentrée au moment où l’ambulance partait vers l’hôpital dont son mari n’est jamais ressorti.

Je n’ai été, à ce moment-là, que le dépositaire d’une culpabilité que je ne pouvais pas effacer. Mais ce qui était le plus important, il me semble, pour Christiane, c’est qu’une personne qui allait lui survivre connaisse toute la vérité.

J’ai gardé cette vérité pour moi, jusqu’à ce que ceux qui avaient connu Christiane l’aient oubliée. L’écrire aujourd’hui l’inscrit à jamais dans la réalité.

Côté terrain

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