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Il faut des bénévoles, et que chacun trouve sa place

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En s’intéressant de près au quotidien d’une dizaine d’associations et de collectifs bénévoles à l’origine de maraudes en Ile-de-France, Erwin Flaureau a mis au jour un éventail de pratiques où s’opposent des manières différentes de concevoir la relation d’aide. Une réalité qui n’est pas toujours vue d’un bon œil par les professionnels.
Qu’avez-vous observé lors de votre immersion dans les maraudes ?

J’ai été frappé de découvrir que, derrière l’image relativement homogène de cette forme d’intervention sociale, se cachent en réalité des manières très différentes de concevoir la relation d’aide avec les sans-abri. Certains vont, par exemple, distribuer des denrées matérielles (couvertures, vêtements, kits d’hygiène, alimentation). D’autres, délestés de tout objet, vont à la rencontre des gens de la rue dans l’unique but de tisser un lien social. Mais le plus marquant est le lien que l’on peut établir entre ce panorama des pratiques et les positions qu’occupent les bénévoles dans l’espace social. J’ai ainsi pu dégager deux grands pôles de maraudes, entre lesquels se dessine un continuum de pratiques. D’un côté, les maraudes constituées de bénévoles issus de catégories supérieures, qui se distinguent des autres par un style consistant en une euphémisation de la distance sociale avec les sans-abri : ces bénévoles s’abaissent systématiquement à la même hauteur, privilégient les longues conversations et, surtout, critiquent le don matériel qui, pour eux, installe une hiérarchie dans la relation et entrave l’avènement d’une rencontre amicale. De l’autre, les maraudes qui regroupent surtout des bénévoles de classes populaires. Ces derniers vont, au contraire, valoriser et se concentrer sur l’aide matérielle, mais aussi maintenir une distance, en restant debout, par exemple, lors des courtes interactions qu’ils ont avec les publics à la rue. Ils accordent beaucoup d’attention et de temps à la récolte et à la préparation de produits alimentaires et vestimentaires de qualité, qu’ils vont ensuite distribuer aux nombreux « bénéficiaires » qu’ils rencontrent à Paris.

Que faut-il comprendre de cette répartition ?

D’une part, on peut y voir l’expression de styles de vie et de goûts de classe qui diffèrent suivant le milieu social des bénévoles. L’opposition entre l’« être » et le « faire » rappelle celle identifiée par Pierre Bourdieu entre le « goût du luxe » des classes bourgeoises, marqué par la mise à distance de la nécessité, et le « choix du nécessaire » dans les milieux populaires. D’autre part, il est très intéressant de constater que ces différentes manières de concevoir la maraude apparaissent comme un marqueur social et symbolique de distinction. Comme l’ont montré les sociologues Séverine Misset et Yasmine Siblot, le bénévolat parmi les catégories populaires stables constitue une pratique idéale pour mettre en avant la morale de l’action et le goût du travail, et ainsi tenir son rang entre les catégories les plus précaires et celles supérieures. Pour ces dernières, en revanche, la maraude constitue une pratique privilégiée pour parfaire l’acquisition de dispositions à la simplicité et à la discrétion bourgeoises, et ainsi maintenir l’image sociale que le groupe a de lui-même au regard des autres groupes sociaux. On retrouve cette opposition dans les écarts entre les codes qui se transmettent de bénévole en bénévole et qui régissent différemment les pratiques suivant le pôle. Un exemple : pour les bénévoles bourgeois, il est très mal vu d’utiliser du gel hydroalcoolique après avoir serré la main à un sans-abri, même après s’être éloigné. Ce serait le signe que l’on cherche à marquer une distance. Ce même gel hydroalcoolique est au contraire recommandé dans les rangs des bénévoles populaires. A défaut, on s’échange des conseils pour éviter discrètement de serrer les mains des SDF. Bien sûr, les choses ne sont pas aussi figées. D’autant que, selon que les associations d’un même pôle travaillent ou non en partenariat avec des professionnels, leur fonctionnement peut différer.

Comment les associations bénévoles collaborent-elles avec les professionnels ?

Tout dépend si elles s’inscrivent dans une organisation plus globale des maraudes, si elles sont régulées ou non par des professionnels, si leurs bénévoles ont suivi ou non des formations… Dans les associations les plus institutionnalisées, les bénévoles sont amenés à participer à des réunions de coordination où tous les acteurs des maraudes se réunissent autour d’une table pour parler des situations rencontrées. Dans certaines, les bénévoles doivent également suivre un certain nombre de formations avant de pouvoir aller sur le terrain. De même, ils sont tenus de produire des comptes rendus réguliers aux éducateurs de rue. En revanche, d’autres maraudes associatives, exclusivement composées de bénévoles, sont très éloignées de tout cela et ont tendance à se débrouiller en marge du secteur du travail de rue ou de l’urgence sociale, sans même savoir qu’il existe des instances de coordination, des formations ou des dispositifs d’aide spécialisée. En leur sein, les bénévoles, faute de connaître les réglementations pour obtenir des aides pour les sans-abri, peuvent parfois entrer en confrontation avec les praticiens du travail social ou de l’urgence sociale.

Qu’en pensent les professionnels ?

Les praticiens entretiennent une relation ambivalente avec les bénévoles. Car, malgré quelques pratiques qu’ils jugent maladroites, ils considèrent que les bénévoles parviennent à tisser des liens avec les sans-domicile fixe. Et, ainsi, à accumuler un certain nombre de connaissances – par exemple, sur le parcours de la personne dans les différents dispositifs d’aide – ou quelques éléments biographiques qui facilitent le travail d’orientation des travailleurs de rue. Tous les praticiens s’accordent sur le fait que, de toute façon, il existe un besoin d’engagement bénévole pour compenser leur manque de disponibilité, de temps et d’effectifs. En revanche – et là aussi, ce point de vue est assez unanime –, il faut que les bénévoles restent à leur place et se contentent d’établir un lien social ou de distribuer, mais pas de construire le parcours d’accompagnement social. Sinon, leur intervention peut s’avérer contre-productive dans la démarche d’insertion de ce type de publics en très grande précarité, dont les professionnels considèrent qu’ils ne tiennent qu’à un fil.

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