Florentine est arrivée en retard. La faute à pas de chance, elle n’avait que quinze minutes de battement entre deux interventions, dont douze de trajet, mais il y avait une déviation. Le GPS l’a trimballée dans la campagne et elle voyait les minutes défiler, elle enrageait contre le service qui ne l’avait pas prévenue, contre elle-même et contre l’usager qui le lui reprocherait.
« Huit minutes de retard. » C’est par ces mots qu’elle a été accueillie, sans même un « bonjour », juste ce reproche cinglant asséné par l’épouse mécontente. Elle a tenté de se justifier, en vain. Alors elle s’est tue et a fait son travail en silence. L’épouse appellerait-elle le service pour se plaindre d’elle, du ménage d’une collègue et des courses d’une autre ? Sûrement. En disant que, quand même, ça n’était pas la première fois et que ça ne pouvait pas continuer ainsi. Elle imaginait déjà la suite : une convocation bien en règle, l’une après l’autre, dans le bureau de la nouvelle responsable pour remettre les choses au point, ou plutôt pour améliorer les pratiques professionnelles, comme celle-ci le disait poliment. N’empêche, le résultat serait le même, elle se sentirait humiliée, peinerait à trouver ses mots. De toute façon, il n’y avait rien à dire, elle avait huit minutes de retard, point barre.
Mélissa vient de raccrocher. Huit minutes de retard et au moins le double de réprimandes et d’invectives. La famille en a assez, elle demande, non, exige que l’équipe soit recadrée. Si ça continue, elle changera de prestataire, après tout, elle paie pour ce service ! Elle a répondu patiemment, longuement… Elle allait en parler à l’équipe, promis, mais il y avait une pénurie de personnel, alors changer d’intervenante s’avérait compliqué pour le moment. Maintenant, elle tremble de rage. Encore une famille odieuse qui se sent toute puissante, et c’est sur elle que ça retombe. Mais qu’elle parte, qu’elle aille voir ailleurs ! Des dossiers en attente, il y en a des dizaines, alors un de plus ou un de moins !
Catherine est excédée. Des retards, des manquements aux règles élémentaires de sécurité, du travail bâclé, elle n’en peut plus. Elle a déjà écumé une dizaine d’agences et, à chaque fois, c’est la même chose. Elle n’en peut plus de s’adapter sans cesse, d’accepter du bout des lèvres les horaires inadaptés, de découvrir chaque fois une nouvelle tête derrière la porte, de devoir toujours s’assurer que quelqu’un viendra bien la relayer, que son mari est en sûreté, qu’elle peut aller travailler l’esprit tranquille. Huit minutes de retard pour Florentine, c’est quinze minutes pour elle, parce que la déviation, les minutes qui défilent et sa patronne irascible. Encore un retard et elle sera convoquée, recadrée et humiliée.
Huit minutes, quinze minutes… Juste un peu de retard.