Recevoir la newsletter

« L’intérim favorise la défection »

Article réservé aux abonnés

Actuellement formateur sur la filière des assistants de service social, Sylvain Beck analyse le recours grandissant à l’intérim, au-delà des situations d’urgence, comme un signe de désengagement des jeunes professionnels face à un secteur en souffrance.
Comment expliquez-vous le recours exponentiel à l’intérim dans le travail social ?

Je dirais que nous sommes pris dans un mécanisme avec des effets pervers. Du côté des employeurs, face à de réelles difficultés de recrutement, le recours à l’intérim apparaît comme une réponse dans l’urgence. Dans un foyer, il faut un nombre réglementaire d’éducateurs pour encadrer les jeunes, y compris la nuit. Du côté des intérimaires, je vois les étudiants s’inscrire d’abord en agence pour subvenir à leurs besoins pendant leur formation, puis continuer une fois diplômés. Les jeunes professionnels ne se projettent plus à long terme dans une structure car beaucoup d’institutions vont mal. Dès les stages, ils voient des salariés en arrêt ou en burn-out, des structures qui dysfonctionnent, le tout pour un salaire très bas. Ce modèle ne fait pas rêver, et je le comprends, même si, en tant que formateur, j’essaie toujours de rappeler le sens du travail social et les principes de l’accompagnement.

Pourquoi parlez-vous d’une forme de « tourisme institutionnel » ?

Il s’agit de ce sentiment selon lequel on vient au travail et on repart sans engagement, dans une sorte d’anonymat. L’intérim incarne une forme de liberté dans le monde du travail, mais qui favorise la défection : quand les choses vont mal, on s’en va. Or ce qui caractérise les institutions sociales, c’est la pérennité, la continuité, l’engagement. J’invite les professionnels à s’interroger sur les fondements de leur mission et sur les conséquences pour les personnes accompagnées. Que ce soit dans la précarité, la dépendance, la protection de l’enfance, les institutions se sont constituées pour stabiliser et donner des repères. Pour que des jeunes en difficulté puissent s’identifier, il faut vivre le quotidien. C’est la base du métier d’éducateur spécialisé. Je veux bien admettre que l’on recoure à l’intérim faute de choix, mais je souhaite que l’on reconnaisse que ce n’est pas satisfaisant, qu’il faut des mesures de fond. L’intérim ne doit pas être considéré comme une solution en soi.

Peut-on analyser le phénomène sous le seul prisme individuel, voire individualiste des jeunes professionnels ?

C’est évidemment plus complexe. D’après moi, le problème de l’intérim est mal posé. Nous devrions nous demander : pourquoi n’arrive-t-on pas à recruter sur le long terme ? Pourquoi se retrouve-t-on dans cette situation d’urgence ? Il y a quinze ans, le turn-over et les difficultés de recrutement existaient déjà. Depuis, certaines questions de fond n’ont pas été abordées. Je pense aux conditions salariales, mais pas seulement. Les métiers du social et de l’éducatif sont difficiles ; en protection de l’enfance ou dans les foyers de la PJJ, on travaille avec des jeunes parfois violents, en carences éducatives et affectives… Pour contenir le groupe, il faut une institution. Mais quand celle-ci ne joue plus son rôle, comme l’avait expliqué le sociologue François Dubet, tout repose sur les individus. C’est la raison pour laquelle le secteur est en souffrance. Nous avons perdu la contrepartie éducative inhérente à nos métiers. Quand j’ai commencé ma carrière, les phases de crise et de tension avec les jeunes étaient compensées par de très beaux moments. Mais pour y parvenir, il faut travailler sur un temps long. Or le travail social est de plus en plus traversé par des injonctions managériales et gestionnaires qui entrent en contradiction avec l’idée de continuité éducative. Aujourd’hui, nous passons plus de temps à justifier ou à tenter d’évaluer nos actes qu’en activité avec les publics.

Finalement, l’intérim représente-t-il un véritable choix ?

L’intérim est représentatif de l’évolution du travail social. On pourrait aussi parler de toutes celles et ceux qui adoptent le régime d’auto-entrepreneurs, qui choisissent le libéral. Des statuts qui donnent l’impression d’avoir le choix dans une société qui incite de plus en plus à la mobilité, à devenir « entrepreneur de soi-même » et de sa vie professionnelle, sans se rendre compte que le salariat est la clé de voûte de la protection sociale. Ce sont également des statuts précaires dans la durée. Je pense que l’un des problèmes tient au discrédit qui entoure la formation initiale en travail social. On a parfois l’impression que la bonne volonté sur le terrain peut suffire à faire du social ! Il faudrait également interroger la formation des cadres et des managers du social. De moins en moins de dirigeants de structures sont issus de la base, du terrain. Beaucoup viennent aujourd’hui d’écoles de commerce ou de Sciences Po et n’ont pas reçu de formation autour du sens de la question sociale.

L’événement

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur