Domino à Lyon et à Paris, Solicare en Gironde, Ettic dans les Pays de la Loire, L’Intérim solidaire à Marseille… En moins de dix ans, ces agences d’intérim spécialisées ont éclos aux quatre coins de l’Hexagone pour répondre aux besoins croissants des structures en crise. Organisées en sociétés coopératives, elles rassemblent des institutions sanitaires, sociales et médico-sociales du secteur privé non lucratif, qui deviennent des membres coopérateurs. « Ce statut nous permet de ne pas facturer la TVA et de proposer des tarifs 20 % à 40 % moins cher qu’une agence d’intérim classique, dont le but sera de générer du profit », détaille Andrew Jullien, directeur de L’Intérim solidaire, à Marseille. Depuis 2016, l’agence fournit des travailleurs à 120 établissements des Bouches-du-Rhône, tant en protection de l’enfance que dans le handicap, la dépendance, la précarité et désormais la vieillesse, avec des maisons de retraite associatives.
Le fonctionnement est similaire dans les Pays de la Loire et le Centre-Val de Loire, où l’agence Ettic, née en 2019, compte déjà 350 établissements coopérateurs. « Nous facturons à prix coûtant la réalité de nos charges pour ne pas peser sur les budgets des structures. Nos marges ne servent qu’à faire fonctionner la structure et nous sommes payés par les coopérateurs », complète Yann Largeaud, cofondateur d’Ettic.
En tant qu’ancien éducateur spécialisé puis chef de service, Yann Largeaud assure que l’intérim solidaire doit être au service des structures. « Je me suis moi-même confronté à la réalité d’arriver un lundi matin et d’avoir cinq salariés absents. A ce moment-là, on est seul : Pôle emploi est inefficace et l’agence d’intérim classique coûte beaucoup trop cher. Sans parler des profils de certains professionnels qu’on nous envoit parfois. Je me suis déjà retrouvé avec des maîtres-chiens à la place d’un surveillant de nuit. » Et d’ajouter : « Je suis agacé que l’on rende l’intérim responsable de la présence de personnes non diplômées dans les structures. Il n’est pas la cause des difficultés de recrutement et de la désaffection de certaines formations, mais plutôt un symptôme. Le problème étant que, dans certaines structures, les conditions de travail sont beaucoup plus dures qu’ailleurs. Il leur revient de rendre le CDI à nouveau attractif. »
Pour éviter que des postes soient pourvus par des personnes non diplômées, ces agences mettent en avant leur objectif de fidélisation. « Si la personne convient sur le poste, on va s’occuper de lui financer la formation pour qu’elle soit embauchée et limiter ainsi l’impact du turn-over sur les bénéficiaires », affirme Andrew Jullien. C’est en tout cas l’objectif. « Dans les faits, reconnaît-il, trouver la meilleure solution oblige à bricoler un peu. On ne trouve pas toujours un intérimaire compétent et disponible sur quinze jours de mission. » L’intérim doit en outre servir de tremplin vers des emplois pérennes. « C’est un peu comme une période d’essai. Puis on propose une embauche sans frais supplémentaires, comme c’est le cas dans une agence d’intérim lucrative », confirme Yann Largeaud.
Aussi solidaires qu’elles soient, ces structures se développent parce que le marché est en plein boom. Les métiers du social et du médico-social connaissent des situations de quasi plein emploi. « Dans ce contexte, l’intérimaire a le pouvoir », abonde le cofondateur d’Ettic. Les agences tentent alors d’encadrer non pas les demandes de salaires des professionnels, mais la garantie d’égalité de traitement entre titulaires et intérimaires, comme le prévoit la loi. « Nous proposons des tarifs selon l’ancienneté du travailleur, sans jamais gonfler les prix auprès de la structure. Si le professionnel demande plus et que la structure accepte, c’est une libre négociation entre eux. »
Autre écueil : l’accumulation des heures de travail. En théorie, un intérimaire ne peut pas dépasser la durée maximale de travail, soit 48 heures par semaine. « Sauf à mentir, cela arrive sans cesse », soupire Andrew Jullien. En la matière, les agences solidaires ne semblent pas mieux armées que les autres. « Certaines personnes s’inscrivent dans plusieurs agences, d’autres viennent chez nous en plus de leur emploi salarié dans une structure. Résultat : elles dépassent parfois 50 heures de travail hebdomadaire pour gonfler leur salaire. » Quitte à arriver fatiguées ou dans de mauvaises dispositions. Au détriment… des collègues et des bénéficiaires.