Le chemin vers la réinsertion, des détenus après leur incarcération est long et tortueux. Mais les pouvoirs publics s’efforcent de poser des jalons innovants en direction de ce public particulièrement vulnérable. L’après-détention est souvent synonyme de précarité durable, voie toute tracée vers la récidive. L’année 2022 est ainsi marquée par un certain volontarisme. En application de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, le décret n° 2022-655 du 25 avril 2022 relatif au travail des personnes détenues est venu énoncer les modalités de mise en œuvre du nouveau contrat d’emploi pénitentiaire (CEP), entré en vigueur le 1er mai dernier, étape vers un rapprochement avec le droit commun des relations de travail(1). Cet automne, dans le prolongement de ladite loi de décembre 2021 autorisant le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance des mesures facilitant l’accès aux droits sociaux pour les personnes détenues, l’ordonnance n° 2022-1336 du 19 octobre 2022 vient concrétiser l’enrichissement de l’édifice. Le présent dossier revient sur les apports de cette ordonnance riche de 28 articles, inscrivant un nouveau volet dans la réforme du travail pénitentiaire. D’une part, on observe la promotion d’un certain nombre de droits sociaux au bénéfice des personnes détenues exerçant un travail en détention – sous CEP et/ou en formation professionnelle –, dès lors que ces droits sont utiles à leur réinsertion, sous l’angle notamment des assurances vieillesse, chômage, maternité et droit à la formation ; d’autre part, sont édictées des garanties nouvelles en matière de sécurité au travail, avec un rôle clé donné à l’inspection du travail dans les murs, et d’intégrité physique et mentale des détenus via des dispositions relatives au harcèlement et aux discriminations ; enfin, le texte autorise l’implantation inédite d’établissements et services d’aide par le travail (Esat) dans l’univers carcéral, sous certaines conditions.
I. De nouveaux droits sociaux pour les personnes détenues
Deuxième volet de la réforme du travail pénitentiaire, l’ordonnance du 19 octobre 2022 ouvre de nouveaux droits sociaux aux détenus qui travaillent.
A. Sécurité sociale
Le texte vise à couvrir certains risques en ouvrant ou renforçant des droits d’ordre assuranciel, rapprochant la situation du travailleur détenu de celle du travailleur en milieu libre : vieillesse, retraite complémentaire, maladie, maternité, invalidité, décès, accidents du travail et maladies professionnelles.
A noter : Toutes les dispositions mentionnées ci-dessous sont « nouvelles », nous n’inscrirons cependant pas le vocable « nouveau » à chaque occurrence.
1. Cotisations
Dans tous les cas, les rémunérations sont soumises à cotisations en fonction de chaque risque. Ainsi, la rémunération des personnes détenues exerçant une activité de travail dans le cadre d’un contrat d’emploi pénitentiaire est assujettie aux cotisations de l’assurance maladie, maternité, invalidité et décès, à la contribution de solidarité pour l’autonomie, aux cotisations d’assurance vieillesse (voir ci-contre) et aux cotisations au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles – les taux de ces cotisations sont déterminés par décret en Conseil d’Etat (code de la sécurité sociale [CSS], art. L. 382-39 ; code pénitentiaire [C. pénit.], art. L. 324-2).
Par ailleurs, l’Etat endosse, vis-à-vis des personnes détenues exerçant une activité de travail dans le cadre d’un CEP, les obligations de l’employeur en matière de déclaration et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale. Pour les activités de travail effectuées dans le cadre du service général, ces cotisations et contributions sont prises en charge par l’Etat (CSS, art. L. 382-38).
En outre, les cotisations et contributions patronales sont à la charge des donneurs d’ordre – l’administration pénitentiaire dans le cas du service général, ou les concessionnaires, entreprises délégataires, structures d’insertion par l’activité économique, entreprises adaptées (voir encadré page 16), services de l’Etat ayant pour mission de développer le travail et l’insertion professionnelle des personnes détenues, à l’exception des cotisations patronales d’assurance vieillesse qui sont prises en charge par l’Etat.
Enfin, les cotisations de sécurité sociale des personnes détenues suivant un stage de formation professionnelle sont calculées et prises en charge dans les conditions prévues à l’article L. 6342-3 du code du travail : cotisations prises en charge au même titre que le financement de l’action de formation, selon le cas, par l’Etat, l’opérateur de compétences ou la région (CSS, art. L. 382-42).
2. Assurance vieillesse
Il est prévu en matière d’assurance vieillesse – branche de la sécurité sociale qui gère le risque vieillesse et tend à assurer une retraite, de base et complémentaire, aux personnes en âge de partir à la retraite et ayant suffisamment cotisé – d’appliquer une assiette minimale de cotisations, avec pour objectif de généraliser l’acquisition de droits au profit des personnes détenues qui travaillent, en considération du fait de la faiblesse des rémunérations et des durées hebdomadaires de travail, de 17 heures en moyenne.
3. Retraite complémentaire
Selon l’article L. 382-48 du code de la sécurité sociale, les personnes détenues exerçant une activité de travail dans le cadre d’un contrat d’emploi pénitentiaire sont affiliées au régime de retraite complémentaire Ircantec, dont relèvent les agents non titulaires de l’Etat et des collectivités. L’Etat assume les obligations de l’employeur en matière de déclaration et de paiement des cotisations pour ce régime.
« Les cotisations salariales et patronales dues au titre du régime de retraite complémentaire auquel les personnes détenues sont affiliées […] sont prises en charge par l’Etat » (CSS, art. L. 382-49).
4. Nouvelles prestations en espèces
De nouvelles prestations en espèces sont ouvertes au titre des assurances maladie, maternité, invalidité, décès, accidents du travail et maladies professionnelles. Notamment, il s’agit de permettre le versement d’indemnités journalières au titre de l’assurance maternité et de l’assurance accidents du travail et maladies professionnelles. Citons les dispositions suivantes :
- sont prises en compte pour l’examen des conditions d’ouverture de droits et le calcul des prestations en espèces des assurances maladie, maternité, invalidité et décès, les périodes d’exercice d’une activité de travail en détention, effectuées tant dans le cadre d’un CEP que lors d’un stage de formation professionnelle (CSS, art. L. 382-43) ;
- en cas d’incapacité physique de commencer ou de poursuivre une activité de travail en détention dans le cadre d’un CEP ou d’un stage de formation professionnelle, précisément en cas de difficultés médicales liées à leur grossesse, les personnes détenues bénéficient d’une indemnité journalière dont le régime exact sera fixé par décret (CSS, art. L. 382-44, al. 2) ;
- les personnes détenues en remplissant les conditions bénéficient du congé et des prestations en espèce de l’assurance maternité (CSS, art. L. 382-45) ;
- les personnes détenues, le cas échéant leurs ayants droit, bénéficient des prestations en espèces de l’assurance décès et de l’assurance invalidité sous certaines conditions (CSS, art. L. 382-47) ;
- en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle survenu à l’occasion d’une activité de travail réalisée dans le cadre d’un CEP ou lors d’un stage de formation professionnelle, une indemnité journalière est due à la victime à partir du premier jour qui suit l’arrêt du travail consécutif à l’accident ou à la maladie, pendant toute la période d’incapacité de travail qui précède soit la guérison complète, soit la consolidation de la blessure ou le décès ainsi que dans le cas de rechute ou d’aggravation. L’indemnité journalière est réglée à partir de la reconnaissance de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle (CSS, art. L. 433-4) ;
- les personnes détenues exerçant une activité de travail sous CEP ou via un stage de formation professionnelle bénéficient des prestations au titre des assurances maladie, maternité, invalidité et décès (C. pénit., art. L. 324-3) ;
- pendant la durée du congé de maternité prévu par l’article L. 382-45 du CSS, le CEP ou le stage de formation professionnelle est suspendu (C. pénit., art. L. 324-4) ;
- ces mêmes personnes exerçant une activité sous CEP ou effectuant un stage de formation professionnelle sont couvertes au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les conditions et selon les modalités prévues par les dispositions du Livre IV du CSS (C. pénit., art. L. 324-5).
Attention : Ces nouvelles dispositions relatives à la sécurité sociale ne sont pas applicables aux personnes condamnées bénéficiant d’une mesure de semi-liberté ou de placement à l’extérieur pour y exercer des activités en dehors de l’établissement pénitentiaire ou exécutant leur peine sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique et exécutant une activité professionnelle dans les mêmes conditions que les travailleurs libres.
Elles sont affiliées au régime de sécurité sociale dont elles relèvent au titre de cette activité.
B. Assurance chômage post-détention
1. Constitution de droits
La constitution de droits du fait de l’activité liée à un travail durant la détention est une nouveauté importante. En effet, les conditions d’attribution et les modalités de calcul et de paiement de l’allocation d’assurance chômage tiennent compte des activités de travail effectuées dans le cadre du CEP. Cependant, le versement de l’allocation n’est accordé qu’à compter de la libération de la personne détenue ou à compter de la date à laquelle elle bénéficie d’un aménagement de peine, lorsque cette mesure permet la recherche effective d’un emploi (C. trav., art. L. 5424-30).
2. Droits acquis avant la détention
La personne détenue qui a acquis des droits avant son incarcération voit le versement de son allocation d’assurance suspendu à compter de la date d’incarcération. Elle pourra bénéficier d’une reprise de son droit au versement de cette allocation « à compter de sa libération ou, lorsqu’elle bénéficie d’un aménagement de peine, dès lors que le temps écoulé depuis la date d’ouverture de son droit n’est pas supérieur à la durée de ce droit augmentée de 6 ans. Seule l’ouverture d’un nouveau droit au versement de l’allocation d’assurance permet de bénéficier à nouveau du délai de reprise de ce droit » (C. pénit., art. L. 324-7).
En d’autres termes, la période au terme de laquelle il y a déchéance des droits acquis avant l’incarcération est portée de 3 à 6 ans.
A noter : Les modalités d’établissement et de transmission des attestations et déclarations qui permettent le bénéfice du droit à l’allocation d’assurance au titre des activités de travail dans le cadre d’un CEP sont fixées par décret (C. pénit., art. L. 324-9).
C. Droits nouveaux à la formation
Les articles L. 411-4 à L. 411-10 du code pénitentiaire innovent en créant, lors de la détention, le compte personnel d’activité (CPA), prévu par l’article L. 5151-1 du code du travail.
Précisément, le détenu exerçant une activité de travail, une activité bénévole ou une activité de volontariat bénéficie de ce compte qui se décline de deux façons : le compte personnel de formation et le compte d’engagement citoyen.
Les droits acquis par le détenu au titre du CPA ne sont pas mobilisables pendant la détention sauf s’il est autorisé par le juge de l’application des peines à exercer des activités en dehors de l’établissement pénitentiaire sous le régime du placement extérieur ou de semi-liberté.
Le compte personnel de formation (CPF) est alimenté au titre de chaque année en heures, le nombre étant calculé par référence à une durée annuelle de travail et dans la limite d’un plafond. Ce calcul s’effectue au prorata du temps travaillé lorsque l’activité n’est pas exercée à temps complet, tandis que les heures sont converties en euros lors de la mobilisation des droits.
Il existe des possibilités de majorations (ex. : un détenu n’a pas atteint un niveau de formation sanctionné par un diplôme ou titre professionnel correspondant à un niveau prévu, ou en cas de handicap reconnu et établi).
Le compte d’engagement citoyen (C. trav., art. L. 5151-7 et s.) recense quant à lui les activités bénévoles ou de volontariat de son titulaire. Il permet d’acquérir lors de la détention des droits sur le CPF à raison de l’exercice de ces activités.
Enfin, il est créé une réserve citoyenne de réinsertion qui a pour objectif de permettre aux personnes détenues volontaires d’exercer des activités bénévoles pendant leur détention. Cette réserve citoyenne de réinsertion fait partie intégrante de la réserve civique prévue par la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, qui ouvre la voie à un engagement bénévole et occasionnel de citoyens concourant à la réalisation de projets d’intérêt général.
II. Des garanties nouvelles en matière de santé et de sécurité au travail
A. Sécurité et santé au travail en prison
1. Activités de travail en général
Les articles L. 412-20-1 à L. 412-20-3 du code pénitentiaire renforcent les garanties dont doivent bénéficier ces acteurs un peu particuliers du monde du travail en matière d’hygiène, de santé et de sécurité au travail en milieu carcéral. Sont ainsi applicables dans les établissements pénitentiaires les nombreuses mesures d’hygiène, de santé et de sécurité prévues par les Livres Ier à V et VII de la quatrième partie du code du travail, nouvelle illustration du rapprochement des conditions entre milieu pénitentiaire et milieu libre.
Pour ce faire, le chef d’établissement pénitentiaire et le donneur d’ordre s’efforcent d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des personnes évoluant sous CEP (ex. : évaluation stricte des risques, élaboration d’un document unique d’évaluation des risques professionnels en détention…) et se doivent de prendre toutes les mesures utiles propres à prévenir tous les risques identifiés (ex. : formation, information, aménagement des postes de travail, recours aux équipements de travail et moyens de protection…).
2. Rôle renforcé de l’inspection du travail
Les articles L. 412-20-4 à L. 412-20-11 du code pénitentiaire (voir aussi C. trav., art. L. 8112-3) consacrent la fonction centrale de l’inspection du travail dans le contrôle du respect des textes normatifs en matière de conditions de travail en détention.
Les agents de contrôle de l’inspection du travail figurent en première ligne et disposent de nouvelles prérogatives.
Il leur est attribué un droit d’entrée dans les établissements dans lesquels sont exercées les activités de travail des personnes détenues, au service général et en production, pour y mener leurs missions en matière de santé et la sécurité. Sur place, ils peuvent se faire présenter les documents rendus obligatoires ainsi que tout document ou tout élément d’information prévu par la réglementation relative à la santé et à la sécurité pour les activités de travail en détention, et constater les infractions à la règlementation dans ces matières par des procès-verbaux circonstanciés. Ils peuvent en outre procéder, aux fins d’analyse, à tout prélèvement portant sur les matières mises en œuvre et les produits distribués ou utilisés, et prendre les mesures adéquates en déclenchant des procédures d’urgence.
Les agents de contrôle informent le chef de l’établissement pénitentiaire des manquements et infractions constatés à l’encontre du donneur d’ordre. Ce dernier, lorsqu’il est une personne morale de droit privé, est passible des sanctions encourues par tous les employeurs (ex. : amende…).
B. Médecine du travail
Les prérogatives du médecin du travail sont visées aux articles L. 412-47 à L. 412-54 du code ; elles sont proches de celles existant en milieu libre.
D’une part, toutes les personnes exerçant une activité de travail en détention doivent disposer d’un suivi individuel de leur état de santé assuré par les médecins des unités des établissements de santé.
D’autre part, les mêmes bénéficiaires qui présenteraient des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité ou pour celles de leurs collègues ou des tiers ont un droit à un suivi individuel renforcé de leur état de santé assuré par le médecin du travail (ex. : examen médical d’aptitude).
Par ailleurs, plus spécifiquement, après un congé de maternité ou une absence justifiée par une incapacité résultant d’une maladie ou d’un accident, les bénéficiaires ont l’obligation d’être l’objet d’un examen de reprise par le médecin du travail.
Ce professionnel peut proposer, par écrit et après échange avec la personne détenue et le donneur d’ordre, des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d’aménagement du temps de l’activité de travail qui seraient justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge ou à l’état de santé physique ou mentale de la personne détenue. Il peut déclarer la personne détenue inapte à son poste de travail.
Le donneur d’ordre est tenu de prendre en considération l’avis, les indications ou les propositions émis par le médecin du travail.
Enfin, le dossier médical en santé au travail obligatoire dans le droit commun (C. trav., art. L. 4624-8) est constitué pour la personne détenue.
C. Harcèlement et discrimination
Une fois encore dans l’optique de créer des conditions d’exercice du travail en détention proches de celles rencontrées dans le droit commun du travail, des prescriptions en matière de lutte contre les discriminations et le harcèlement sont édictées.
1. Harcèlement
A l’instar du monde du travail habituel, il est mené une lutte contre les faits de harcèlement (C. pénit., art. L. 412-36 à L. 412-42).
De façon classique maintenant, les agissements répétés de harcèlement moral ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du détenu en situation de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d’altérer sa santé physique ou mentale sont sanctionnés. Toute personne détenue ayant subi ou refusé de subir, lors de son activité de travail, des agissements répétés de harcèlement moral ou ayant de bonne foi relaté ou témoigné de tels agissements ne peut faire l’objet de sanctions.
La personne détenue ne doit pas non plus subir des faits, soit de harcèlement sexuel, soit assimilés au harcèlement sexuel, et elle ne saurait encourir quelconque sanction pour avoir subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel définis dans le code du travail, ou ayant de bonne foi témoigné de faits de harcèlement sexuel ou relaté de tels faits.
En sens inverse, la personne détenue s’étant livrée, dans l’exercice de son activité de travail, à des agissements de harcèlement moral ou de harcèlement sexuel est passible d’une sanction disciplinaire, le donneur d’ordre devant prendre toutes les mesures utiles en vue de prévenir ces faits et agissements, d’y mettre un terme et de les sanctionner.
2. Discrimination
Là encore de façon maintenant habituelle, les articles L. 412-24 à L. 412-35 du code pénitentiaire entendent proscrire toutes les formes de discrimination en lien avec le travail en prison.
Aucune personne détenue ne saurait être écartée d’une procédure de classement au travail ou d’affectation sur un poste de travail, ne saurait voir son CEP suspendu ou résilié, ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, ou lors d’un témoignage pour des faits de harcèlement, en raison de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, de sa religion, de ses convictions, de son âge, de son handicap, de son orientation sexuelle ou de son sexe, y compris pour le fait de grossesse.
Notons qu’il est fait mention de la possibilité de faire des différences de traitement lorsque celles-ci répondent à une exigence de l’activité de travail essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée (ex. : âge, état de santé, handicap…).
A noter : On encourage l’organisation des activités de façon mixte, sous réserve du maintien du bon ordre et de la sécurité au sein des établissements (C. pénit., art. L. 411-3).
III. Implantation des Esat dans le milieu carcéral
Deux préoccupations animent enfin l’ordonnance du 19 octobre 2022 : élargir les modalités d’accès au travail en détention, en favorisant son exercice par un public toujours plus nombreux, en ce compris les plus vulnérables et les plus éloignés de l’emploi ; attirer des acteurs économiques nouveaux vers le travail en détention. L’implantation des établissements et services d’aide par le travail (Esat) (code de l’action sociale et des familles [CASF], art. L. 312-1) dans l’institution pénitentiaire se situe au carrefour de ces deux ambitions.
« Les établissements ou services d’aide par le travail peuvent être implantés dans les locaux de l’administration pénitentiaire et accueillir des personnes détenues handicapées pour l’exercice d’une activité de travail en détention[…] » (CASF, art. L. 344-6-1).
Plusieurs conditions président à cette implantation.
A. Établissement d’un projet d’établissement ou de service
L’Esat intéressé par une intégration dans la sphère pénitentiaire est tenu d’élaborer préalablement, dans des conditions fixées par décret, un projet d’établissement ou de service. Ledit projet définit les objectifs de la structure, en matière de coordination, de coopération et d’évaluation des activités et de qualité des prestations, ainsi que ses modalités d’organisation et de fonctionnement, en lien notamment avec le service compétent pour la prise en charge sanitaire de la personne détenue et le service pénitentiaire d’insertion et de probation. Ce même projet détermine en outre les actions prévues pour une solide et réaliste réinsertion sociale et professionnelle des personnes détenues. Enfin, il doit entériner la politique de prévention et de lutte contre la maltraitance mise en œuvre par la structure, notamment en matière de gestion du personnel, de formation et de contrôle. Ce projet, établi pour une durée maximale de 3 ans, doit être renouvelé à l’issue de ce délai (C. pénit., art. L. 412-45).
B. Signature d’un contrat d’implantation
L’autre étape vers l’implantation de l’Esat en milieu pénitentiaire consiste en la « conclusion d’un contrat d’implantation signé avec le chef de l’établissement pénitentiaire intéressé » (C. pénit., art. L. 412-43).
Pour être affectée dans un Esat implanté dans un établissement pénitentiaire, la personne détenue doit remplir les conditions prévues par l’article L. 344-2 du CASF (« personnes handicapées pour lesquelles la [CDAPH] a constaté une capacité de travail réduite […], et la nécessité d’un accompagnement médical, social et médico-social. [Il leur est offert] des possibilités d’activités diverses à caractère professionnel, ainsi qu’un soutien médico-social et éducatif, en vue de favoriser leur épanouissement personnel et social »), soit selon les mêmes modalités que dans les structures agissant en milieu ordinaire (C. pénit., art. L. 412-46).
A noter : L’ordonnance du 19 octobre 2022 modifie les codes de la sécurité sociale, pénitentiaire, du travail, de l’action sociale et des familles. Ses dispositions entrent en vigueur en deux temps : les dispositions relatives au harcèlement, aux discriminations et à la mixité des activités en détention sont actives dès la publication de l’ordonnance et s’appliquent aux CEP déjà en cours à cette date et naturellement à ceux à venir ; celles en lien avec la promotion de droits sociaux seront effectives à une date fixée par un décret à venir et en tout état de cause au plus tard le 1er décembre 2024.
Le contrat d’emploi pénitentiaire (CEP) (C. pénit., art. L. 412-10 et s., et R. 412-19 et s.) consacre juridiquement un nouveau type de contrat de travail à part entière. Selon l’article L. 412-3, alinéa 2, du code : « Le travail pour un donneur d’ordre est accompli dans le cadre du contrat d’emploi pénitentiaire […]. Les relations entre la personne détenue et le donneur d’ordre sont régies par les dispositions du présent code et par celles du code du travail. »
Le CEP lie le travailleur et son employeur direct. Les donneurs d’ordre sont possiblement l’administration pénitentiaire, directement, ou un concessionnaire, une entreprise délégataire, une structure d’insertion par l’activité économique, une entreprise adaptée. Une convention au contrat définissant les obligations respectives de l’établissement pénitentiaire, de la personne détenue et du donneur d’ordre est signée et annexée au CEP.
Le contrat doit mentionner le caractère déterminé ou indéterminé de la durée du contrat, l’existence éventuelle d’une clause de renouvellement, la date effective du début d’activité et, le cas échéant, la date de fin de contrat, la durée et les termes de renouvellement ou non de la période d’essai, la description du poste de travail et des missions, les risques particuliers liés au poste de travail, la durée hebdomadaire ou mensuelle du travail…
Il est enfin pris en compte le contexte spécifique de la privation de liberté, car l’exécution du contrat de travail se fait sous le contrôle permanent de l’administration pénitentiaire.
Les décrets nos 2021-359 et 2021-362 du 31 mars 2021 ont autorisé l’implantation d’entreprises adaptées au sein des établissements pénitentiaires. Il s’agit une opportunité nouvelle de travail et d’accompagnement destinée à s’adapter aux besoins et capacités des personnes détenues en situation de handicap dans l’objectif d’une anticipation de la fin de détention et, partant, d’une réintégration sociale aussi viable que possible.
L’implantation doit répondre à des exigences légales précises : établissement d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens entre l’entreprise adaptée et le préfet de région ; signature d’un contrat d’implantation avec les autorités pénitentiaires, qui établit les conditions d’exercice des activités, les modalités d’accompagnement socio-professionnel…
Les bénéficiaires sont les personnes écrouées reconnues travailleurs handicapés, de nationalité française ou disposant d’un titre de séjour, volontaires, avec ou sans expérience professionnelle et éloignées de l’emploi ou rencontrant des difficultés sociales particulières. Elles signent un acte d’engagement cristallisant la relation de travail et bénéficient d’un accompagnement personnalisé.
Pour l’heure, cette modalité de travail s’effectue sous la forme d’une phase pilote de 2 ans dans 10 établissements pénitentiaires volontaires.
Pour en savoir plus : « Guide pratique. Implantation des entreprises adaptées en milieu pénitentiaire » – Ministères de la Justice, du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, avril 2021.
(1) Plus de détail dans ASH n° 3262 du 3-06-22, p. 14.